Publié le 27/01/2016
À l’été 2011, la société
familiale anglaise Designer Parfums rachetait à Procter & Gamble,
Jean Patou, une des plus belles marques de parfum au monde, mais qui
sommeillait doucement. Bruno-Georges Cottard, vice président de Jean
Patou Paris, raconte comment il a réveillé la belle endormie. Interview
exclusive.
INfluencia : que fait-on quand on hérite d’un trésor historique comme Patou ?
Bruno-Georges Cottard : Jean
Patou est une grande maison, créée en 1924 par un homme visionnaire qui
a énormément compté dans l’univers du luxe et des parfums. Elle avait
été cédée en 2001 à Procter & Gamble Prestige, mais le groupe avait
peu travaillé dessus. En juin 2011, il l’a revendue au groupe familial
britannique Designer Parfums, dont l’objectif est de sauver et faire
revivre des grandes marques qui risquent de quitter les marchés. Patou
était endormie mais pas endommagée. Il suffisait donc de la réanimer. La
notoriété avait baissé mais son image était immaculée. Nous ne voulions
surtout pas trahir son histoire et sa culture.
Notre première décision a été de trouver
un nez, Thomas Fontaine, qui pourrait succéder à Jean Patou et à celui
qui a été le grand parfumeur de la maison, Henri Alméras. Ensuite, nous
nous sommes interrogés sur la meilleure façon de marquer le retour de
cette marque magique. Pour cela, il fallait raconter à nouveau une
partie de l’histoire. Nous avons démarré en publiant chez Flammarion un
beau livre sur Patou. J’ai regardé ce qui était iconique. C’était Joy,
le seul parfum au monde créé, en 1930, non pas pour être vendu, mais
pour être offert. Jean Patou voulait en effet montrer à ses clientes
américaines qui n’avaient plus les moyens d’acheter une robe et de venir
à Paris, qu’il ne les oubliait pas, et que malgré la crise il leur
apportait gaieté, optimisme et espoir. Notre parfumeur a réinterprété ce
jus mythique pour les femmes d’aujourd’hui, actives et modernes, les
trentenaires dont les mères ou grand-mères portaient Joy. Et nous avons
lancé en 2013 Joy Forever.
IN : pourquoi avoir attendu deux ans avant de lancer Joy Forever ?
BGC : je suis contre ce
qui se pratique d’habitude dans notre milieu, où les nouveaux
propriétaires ont l’arrogance de vouloir sortir à tout prix un nouveau
parfum, qui n’a souvent aucun rapport avec la marque. Le capitalisme ne
peut pas être plus fort que l’histoire. Avant de prétendre à lancer un
nouveau parfum, il faut avoir quelque chose de majeur et de fort à
raconter. Nous ne le ferons que lorsque la couture aura ré-émergé (elle a
été arrêtée en 1998,ndlr).
Nous avons également attendu deux ans
car nous avons relocalisé en France l’ensemble de la supplychain -
fabrication du jus et conditionnement. Notre objectif était de revenir à
l’essence de la marque : la haute parfumerie française. Désormais
toutes les matières premières proviennent de Grasse. Nous voulions
également révéler les richesses dont regorge Patou. Nous avons donc
décidé de faire revivre chaque année, sous le nom de la Collection
Héritage, trois de nos jus emblématiques, qui seront produits en plus
petite quantité. Nous avons un choix énorme puisqu’une soixantaine de
parfums ont été créés par Patou, souvent en liaison avec des grands
événements. Nous avons commencé avec Patou pour Homme, l’Eau de Patou,
Chaldée. Adieu sagesse, Deux Amours, Que sais-je ?, Vacances, Colony,
L’heure attendue...
IN : où en êtes-vous ?
BGC : nous sommes sur
le bon chemin. Nous y allons modestement mais nous sommes fiers de nos
résultats. Notre chiffre d’affaires double tous les ans depuis trois
ans, mais pas à n’importe quel prix. L’arrivée des lessiviers dans les
années 90 et la mondialisation ont banalisé la parfumerie, devenue un
produit de masse. Nous sommes dans l’anti marketing car nous n’avons
rien testé. Nous avons une conviction et des idées. Le vrai luxe, c’est
le marketing de l’offre et non pas de la demande. Ce n’est pas ce qui
est cher, c’est ce qui demande au client consommateur un effort
intellectuel, un chemin initiatique pour rentrer dans une certaine idée
de la beauté, et cela ne s’achète pas à tout prix. Nous nous adressons à
une clientèle d’initiés, en quête d’extrême qualité. C’est toute la
différence entre le vrai luxe fondé sur l’excellence et la rareté et le
faux luxe qui cherche le volume. Notre démarche est plus lente, mais si
on réussit, on gagnera plus longtemps et pour toujours.
IN : quels sont les résultats de cette renaissance ?
BGC : quand je suis
arrivé, il n’y avait plus de distribution. Aujourd’hui, nous sommes
présents dans plus de 500 points de vente en France, c’est à dire dans
un cinquième des points de vente français (300 parfumeurs indépendants,
250 Nocibé, au Sephora des Champs Elysées, dans les Printemps…). Toutes
les marques anciennes n’ont pas une histoire aussi marquée et un succès
qui a été aussi fort en France qu’aux Etats-Unis. Patou est très connu
là-bas. Nous y sommes présents dans 400 points de vente, dont Bergdorf
Goodman et Neiman Marcus. Nous sommes distribués dans une vingtaine de
grands magasins au Japon, une cinquantaine de points de vente en
Allemagne, Italie, Espagne et Belgique, chez Harrrods en Grande
Bretagne, en Afrique du sud, en Colombie… Nous sommes également présents
au Moyen-Orient mais pas encore de manière très étendue. A terme nous
voulons être dans 50 % des points de vente sélectifs dans le monde, et
pas plus.
Découvrez l'intégralité du rapport INfluencia / Dagobert sur " Les Marques qui comptent "
Isabelle Musnik
Elle
est la fondatrice, directrice générale et directrice des contenus et de
la rédaction de INfluencia, lancé en 2004. De nationalité française et
britannique, et journaliste économique de formation, elle a démarré sa
carrière à l'Expansion et à la Vie Financière. Elle a été éditrice de CB
News de 1986 à 2003. Également rédactrice en chef du Guide du Luxe,
elle est aussi l’éditrice du Gunn Report for Media qui met en lumière
l'innovation média et son efficacité.
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