Gandi, l’influence sans baratin
Publié le 02/06/2016
Ghandi défendait la
non-violence, Gandi prône le « no bullshit ». Son influence, le pionnier
français du nom de domaine et de l’hébergement, la développe sans
déroger à sa ligne de conduite. Entretien décapant avec le C.E.O.
Stephan Ramoin, à San Francisco.
INfluencia : Gandi possède pour
tagline « No bullshit » et rejette la publicité. Parce que pour vous,
elle est synonyme de « foutaise » ?
Stephan Ramoin : il
peut y avoir de l’information dans la publicité, mais les publicitaires
ne s’autocontrôlent pas beaucoup, et du côté des clients, ce n’est pas
forcément mieux. Il y a de très belles publicités, mais dans le nombre,
seules 5 % ou 10 % d’entre elles me semblent bonnes et informatives. De
celles qui me font découvrir quelque chose, qui ne me prennent pas pour
un idiot en me racontant n’importe quoi, et qui en même temps vont me
faire passer un bon moment.
IN : vous ne pensez pas qu’en étant dans ces 5 % ou 10 % vous pourriez élargir votre influence ?
SR : oui ! Mais du coup
j’ai bien peur qu’en faisant de la publicité, les gens se disent que
nous sommes dans les 95 %… Pour comprendre cette analyse-là, il faut
savoir qui sont nos clients principaux. Le premier cercle se compose de
développeurs, de codeurs, mais aussi de grandes et petites entreprises,
Madame Tout-le-monde… Mais notre cœur de cible, ce sont les mêmes geeks
qui composent Gandi : ils sont open source, extrêmement citoyens et
humanistes. Ils poussent la transparence et l’honnêteté à des niveaux
assez rares. Ils essayent vraiment d’être purs : pour eux, le monde est
souvent blanc ou noir alors que dans la réalité, il est souvent gris.
Dire et écrire « No bullshit », c’est
affirmer sans détour que quand nous faisons quelque chose, nous nous
mettons à la place du client qui reçoit l’information. A-t-on été
honnête dans ce qu’on a dit ? commis une bêtise ? fait quelque chose
qu’on peut corriger ? C’est cette culture-là, appliquée en permanence,
qui nous permet de ne pas faire de publicité. Tout l’argent que nous ne
dépensons pas dans la pub pour dire : « Venez acheter notre produit ! »,
nous le mettons dans ce qui permettra que ce soit un ami, n’importe
qui, qui incitera à ce qu’on nous rejoigne. Nous nourrissons le bouche à
oreille : si quelqu’un vous a dit de venir, c’est qu’en tant que
client, il a été content sur la durée.
IN : donc, au lieu de vous payer
des pubs pour narrer votre culture d’entreprise, l’éthique et ce qui
fait la force de Gandi, vous préférez sortir le chéquier pour la
relation et le service client. C’est une influence très humaine voire
anachronique, non ?
SR : l’argent qui n’est
pas dépensé dans la promotion de notre activité est investi dans le
développement et le produit, pour s’assurer d’une qualité globale
maîtrisée. Si vous faites du bouche à oreille avec un produit qui n’est
pas bon, qui ne marche pas, ou si votre client n’a comme unique point de
contact avec vous qu’une plateforme téléphonique où l’on parle à peu
près sa langue, où l’on ne sera pas capable de répondre à son besoin…
faire de la pub ne sert à rien. Il faut avoir un bon produit, un bon
service, et c’est pour cela que ce que nous avons trouvé de mieux,
c’était encore d’avoir les développeurs proches des besoins des clients,
pour que tout soit maîtrisé en interne.
J’ai travaillé dans des agences de
développement qui sous-traitent en Moldavie, en Roumanie, en Arménie.
C’est quelque chose que nous ne ferons jamais. Cela nous coûte peut-être
beaucoup plus cher et nous empêche certainement d’être plus rentables,
mais c’est un choix de développement à long terme. Il est dicté par le
fait que nous nous moquons de notre valorisation à court terme par les
investisseurs. À tel point que nous aimerions que la société nous
survive. C’est complètement surréaliste d’affirmer cela dans le monde
actuel. Je ne dis pas que ce sera le cas, juste que nous travaillons à
cette fin-là. S’il y a quelqu’un qui vient et veut racheter Gandi, il
est le bienvenu, on discute, tout va bien. Attention, je ne suis pas
demandeur ! Mais je reste totalement pragmatique. Je ne rêve pas, je dis
juste que la manière dont nous développons Gandi est de plus en plus
rare et reflète notre « No bullshit ». C’est lié à la transparence, au
fait de ne pas faire de pub, à notre marché, à qui nous sommes.
IN : en supposant que vous
aimeriez que vos préceptes et votre vision soient généralisés pour
qu’ils gagnent en influence, ne faut-il pas néanmoins des prophètes et
des leaders d’opinion ?
SR : prenons un peu de
distance et discutons d’un exemple qui parlera à tout le monde : Warren
Buffet qui est juste la deuxième ou troisième personne la plus riche au
monde et un investisseur reconnu. Dans une interview assez récente, il
évoquait le legs de 95 % de sa fortune à la fondation Bill et Melinda
Gates, on devrait d’ailleurs dire Melinda et Bill Gates. Le journaliste
lui demande pourquoi avec sa fortune il ne crée pas sa propre fondation.
Warren Buffet lui dit que pour que ce genre de fondation soit efficace,
il faut que ce soit une personne qui la gère. En l’occurrence, il a
confiance en Melinda Gates. Le journaliste lui rétorque alors : « Vous
avez presque 90 ans, pourquoi ne pas l’avoir fait avant ? ». Et là,
Warren Buffet donne une explication qui m’a toujours interpellé : « Mais
si je l’avais fait quand j’avais 30 ans, je l’aurais fait avec 50
millions de dollars. Aujourd’hui, je le fais avec 50 milliards, ce qui
est quand même plus intéressant ».
C’est vrai qu’au premier abord, on est
tenté d’être d’accord avec ce qu’il dit. Mais on peut aussi se poser la
question de savoir comment il a fait pendant cinquante ans pour ne pas
s’en soucier du tout ! Je ne veux pas donner de leçon, mais quand il
disposait, cinquante ans en arrière, de 50 millions de dollars, c’était
déjà beaucoup d’argent, il aurait pu au moins essayer à ce moment-là,
mais cela semble ne pas l’avoir effleuré. Un soir, je suis sorti de nos
bureaux, ici, à San Francisco, vers 20 heures, un père et son fils
dormaient dans le hall d’entrée… Je n’en ai pas fermé l’œil pendant
trois jours.
Le changement passe par le consommateur,
c’est lui qui détient la solution. Nous, à notre petit niveau, on le
fait surtout pour ce qui est de la data et de l’adoption de la
technologie par la population. Elle aide les gens à être mieux informés,
et c’est pour cette raison que j’ai aidé « Arrêt sur images » à lever
750 000 euros pour continuer d’exister sur le Web. Si les gens
apprennent jour après jour, à un moment donné, lentement, cela va
bouger.
IN : l’authenticité, la vérité
et la droiture sont-elles aujourd’hui des leviers d’influence qui
n’existaient pas il y a dix ans ?
SR : un peu, oui. Mais
si je ne suis pas prosélyte, c’est parce que je ne suis pas certain de
rencontrer un écho suffisant dans la société dans laquelle je vis pour
justifier les efforts d’abandon de vie privée que cela demanderait.
Pourquoi irais-je m’embêter à dépenser du temps et de l’énergie sur des
choses dont les gens se moquent royalement de toute façon. Je valorise
ma vie privée bien au-delà de révolutionner la société qui m’entoure.
Après, quand on me pose une question, je réponds. Je ne me défile pas.
Je donne mes opinions et je pense que la société dans laquelle on vit
s’ouvre de plus en plus à tous ces leviers.
La nouvelle génération qui arrive,
notamment dans le développement, me semble apte à changer la société
vers plus de sincérité, d’égalité. On vit dans un monde où la ressource
maintenant c’est la data, et c’est un facteur qui peut faire évoluer les
choses favorablement. En revanche, la société humaine dans son ensemble
est-elle prête à tout cela ? Non. Nous habitons un micro-milieu de
développeurs privilégiés, plutôt à la peau blanche, même si les Indiens
commencent à nous rejoindre. Donc on ne parle là que de minorités dans
une minorité de la minorité. Dans la vie globale de la cité qui est la
nôtre, ces notions ont-elles quelque importance ? Je n’en suis pas
certain.
Benjamin Adler
Benjamin
est le correspondant d’INfluencia aux Etats-Unis, à Los Angeles, depuis
octobre 2011. Diplômé de l’ESJ Paris et du CFPJ, il a également été
correspondant à Sydney et Bruxelles. Il est un témoin privilégié des
nouvelles tendances collaboratives et technologiques en couveuse.
Twitter : @BenjaminAdlerLA
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