La créativité, l'arme absolue des Français ?
Publié le 05/06/2016 Rémy Oudghiri Voir tous ses articles
Le XXIe siècle sera religieux ?
Spirituel ? Chaud et pluvieux dans l'hexagone ? Google a ses réponses
que nos chiffres ne confirment pas. Une étude de l'Observatoire
Sociovision nous apporte à croire qu'il sera plein de fantaisie : la
création dans notre société contemporaine a la cote.
La créativité n’a jamais été aussi valorisée dans l’Hexagone. En 1980, 50 % des Français déclaraient « avoir une grande confiance » dans leurs « capacités à créer » et dans leur propre « imagination ». Aujourd’hui, ils sont 65 % à l’affirmer, selon l’étude réalisée par Sociovision*.
Ce bond de quinze points traduit un changement majeur dans la façon
dont les Français appréhendent leur mode de vie. Et les 25-34 ans sont
au cœur de cette dynamique : 75 % d’entre eux estiment qu’ils possèdent
un potentiel créatif et croient en leur puissance d’imagination.
L'esprit start-up au quotidien
Derrière ces chiffres s’affirme une
mutation de long terme : les Français accordent une importance
croissante au fait de créer, de fabriquer et de concevoir eux-mêmes.
Cette valeur est de plus en plus présente dans le cadre privé (loisirs
créatifs, bricolage, cosmétiques auto-produits, pratique de la photo, de
la vidéo, informatique, cuisine, etc.), mais pas seulement. Elle a le
vent en poupe dans la sphère professionnelle – l’esprit « start-up »
se diffuse aujourd’hui au sein des grandes entreprises –, et dans la
vie quotidienne : on désire maintenant personnaliser ce que l’on fait et
ce que l’on consomme.
Le succès du « Do It Yourself »
annonçait déjà cette tendance à la créativité, mais aujourd’hui, le
phénomène a pris une tout autre ampleur. Dans les années 1990-2000,
cette vogue du DIY était un écho au repli des Français sur la
sphère familiale et la montée en puissance des préoccupations
économiques. Conséquence : le marché du bricolage et des loisirs
créatifs ont profité de la vague, reflétant les envies de nos
compatriotes de se créer et d’aménager leur bulle intérieure (succès des
poses de papier peint, de moquette, kits, déco, etc.). Dans un contexte
tourmenté (attentats du 11-Septembre 2001, augmentation des difficultés
économiques, accélération technologique), le DIY représentait une envie générale de bien-être individuel et familial.
La vie, c'est dans quel sens ?
Aujourd’hui, ces motivations persistent,
en se greffant aussi d’autres dimensions. Parmi elles, le besoin de
donner un sens à sa vie dans une société où les repères ont été
fortement ébranlés ces dernières décennies. Ainsi, de plus en plus de
Français pensent que le monde a « de moins en moins de sens » : ils sont 68 % aujourd’hui, contre 48 % au début des années 1990. Et ce n’est pas seulement le « monde » qui a moins de sens, car 33 % de nos concitoyens ont aussi l’impression que leur propre vie « manque de sens » ; ils n’étaient que 25 % dans les années 1990.
La montée de la créativité comme valeur
est à replacer dans ce contexte. Au-delà du bien-être, ce qui est
recherché aujourd’hui, c’est avant tout une vie plus sensée et plus
riche. On ne veut plus seulement bricoler, rafistoler, décorer, agencer,
ou réparer. On veut aussi créer, apporter de la beauté et du sens à sa
propre vie.
C’est manifeste, la créativité est
devenue une valeur fondamentale et les Français sont très enclins à
l’exprimer. Ce désir passe, entre autres, par l’apprentissage et
l’acquisition de techniques et de compétences. De fait, les Français ont
envie d’apprendre. L’analyse des données permet d’identifier les trois
principaux leviers de cette envie de développer cette aptitude.
Ne plus seulement comprendre, mais s’approprier
Dans un monde où l’innovation
technologique s’est immiscée dans notre réalité quotidienne et où l’on
assiste à une démultiplication des nouveautés et des informations, les
Français se contentent de moins en moins d’en être les spectateurs. Fini
la passivité, ils aspirent à en être des acteurs. Une proportion
croissante d’entre eux veut pouvoir maîtriser les instruments du nouveau
monde. 45 % disent ainsi « avoir besoin de s’approprier physiquement les choses » et pas uniquement de « comprendre leur fonctionnement ».
Ce chiffre est majoritaire chez les moins de 35 ans, confirmant le
souhait de la jeunesse d’être partie prenante des évolutions en cours.
Ne plus seulement être un disciple, mais devenir un maître
Être plus créatif implique aussi de
développer des compétences pour faire soi-même et se donner les moyens
de progresser. Ainsi, 75 % des Français soutiennent que, dans les années
à venir, ils feront leur possible « pour rester au maximum de leurs compétences et pour en acquérir de nouvelles ».
Acquérir de nouvelles compétences est
donc une aspiration largement partagée, mais il faut apprendre vite si
possible, car les connaissances se périment rapidement de nos
jours : 71 % des Français pensent « qu’aujourd’hui, pour réussir dans la vie, le principal c’est de savoir apprendre vite ». De fait, c’est déjà le cas pour 51 % d’entre eux, qui « consacrent beaucoup de temps à apprendre en permanence de nouvelles choses ».
Être capable de sortir du cadre
Pour être pleinement créatif, il faut
non seulement acquérir des compétences, mais aussi être capable de s’en
émanciper pour inventer des choses qui nous soient personnelles. En
d’autres termes, être plus créatif exige de ne pas suivre aveuglément
les règles et les usages en vigueur et d’explorer de nouvelles voies.
Une large proportion des Français y est préparée. Pour 61 %, il faut
savoir « se trouver des combines » pour avancer dans la vie. Et un Français sur deux affirme « essayer des choses même si cela risque de ne pas marcher ».
Une soif de changements
Au-delà de la sphère des loisirs,
l’appétit grandissant pour une vie plus créative est en train de
bouleverser des pans entiers de la société. Cette influence est attendue
par les Français : 62 % d’entre eux disent aspirer « à une société très différente, avec plus d’ouverture, de libertés, de possibilités d’entreprendre ». Conséquence : trois domaines vont subir une redéfinition en profondeur dans les années qui viennent.
Vers une redéfinition des frontières du travail
Promesse de ces évolutions, on sera plus
créatif au travail et plus ouvert à de nouvelles façons de travailler.
La proportion d’entrepreneurs est susceptible de se développer. En
effet, ces Français qui se verraient bien créer une entreprise sont en
augmentation significative. Ils étaient 49 % en 2014, contre 40 % en
moyenne dans les années 1990. De même, l’idée de travailler après la
retraite est désormais admise par une très large majorité ; 77 % des
Français trouvent cela normal aujourd’hui, contre 40 % dans les années
1990.
Vers de nouvelles façons de consommer
En matière de consommation, les
consommateurs font déjà une partie par eux-mêmes. Cela va probablement
continuer à se développer. À l’avenir, ils mixeront leurs modes de
consommation entre ce qu’ils achèteront à des marques, ce qu’ils
produiront et ce qu’ils demanderont ou produiront avec d’autres
particuliers.
Vers un nouveau rapport à l’autre
Les particuliers ont de plus en plus
conscience qu’ils ont des choses à échanger ou à partager entre eux. Pas
seulement des produits ou des objets, mais aussi des compétences. La
transmission intergénérationnelle de savoir-faire est de plus en plus
favorisée, tout comme la transmission d’un individu à l’autre. C’est
peut-être là la véritable signification de ce qu’on appelle aujourd’hui
la révolution « collaborative ».
*Méthodologie de l’enquête : pour
ces analyses réalisées à l’occasion du lancement de Sprout par HP,
Sociovision s’est appuyé sur les données collectées en 2014 à travers
l’Observatoire des Français. Depuis 1975, celui-ci interroge chaque
année un échantillon représentatif de 2 000 Français âgés de 15 à 74 ans
sur de très nombreuses dimensions : valeurs, opinions, état d’esprit,
loisirs, modes de consommation, etc.
Illustrations : Laura Ancona
« Sois créatif mon fils, sois créative ma fille, et le monde t’appartiendra ! »
Article extrait de la revue INfluencia N°14, "La Créativité"
Rémy Oudghiri
Directeur
général adjoint de Sociovision. Diplômé de HEC et Sciences Po Paris,
titulaire d’un DEA de sociologie, il a créé et développé le département
Tendances & Prospective d’Ipsos. Chargé de cours à HEC et à la Neoma
Business School, il est l’auteur de plusieurs ouvrages.
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