Quelle est donc cette cogitation
qui génère la production, comme à notre insu, des idées, et pourquoi
les marques feraient-elles bien de la cultiver ? Les sciences cognitives
nous apprennent que rien ne vient ex nihilo et nous éclairent sur «
l'inspiration », dont Valéry intuitionnait qu'elle est « l'hypothèse qui
réduit l'auteur au rôle d'un observateur ».
Dans une économie globalisée, où les
entreprises sont en concurrence avec le reste du monde, tout un chacun
s’accorde à penser qu’il devient indispensable d’être créatif et
d’innover pour se différencier, et proposer aux consommateurs des offres
de produits et de services qui satisfassent au mieux leurs besoins et
leurs aspirations. Or, dans un processus créatif, la maîtrise technique,
l’analyse rationnelle structurée des besoins des consommateurs et même
les méthodes structurées de créativité ne sont plus suffisantes. Il
manque le « supplément d’âme » qui fera la différence et qui naît le plus souvent de l’inspiration.
L'inspiration n'est plus l'apanage des artistes
Lorsque l’on est confronté à l’envie ou
la nécessité de réaliser une production artistique, de forger un concept
nouveau ou de résoudre un problème inédit, l’inspiration « frappe »
aux moments les plus inattendus, comme par exemple en plein milieu de
la nuit, lors d’une promenade, sous la douche ou en montant une
mayonnaise. Si on est inspiré, on peut générer une masse d’idées
étonnamment pertinentes en une brève période de temps. Ces expériences
d’inspiration sont souvent ressenties comme hors du temps,
transcendantes, comme si l’on était connecté à un flux cohérent de
pensées et d’idées, au point que pendant longtemps l’inspiration est
restée l’apanage d’explications spirituelles ou mystiques. On peut, bien
sûr, en l’absence d’inspiration, utiliser des méthodes structurées pour
initier des idées, les évaluer, résoudre des problèmes… On parvient de
cette manière à produire des idées, mais qui ne seront pas aussi
brillantes et élégantes que celles qui jaillissent lorsque l’on est
inspiré.
Une attitude « idéale » ou l'idée jaillissante
Lorsque l’on évoque l’inspiration, parler de l’objet qui provoque l’inspiration est plus aisé, plus immédiat. « Mon inspiration s’est toujours appuyée sur la réalité quotidienne, j’ai toujours été fidèle à mon temps, mon époque », témoignait Yves Saint Laurent pour signifier que l’état d’inspiration pour créer émergeait d’une « muse »
qui n’était autre que la réalité quotidienne d’une époque dont il
essayait de percevoir le sens. Chercher à comprendre les femmes et les
hommes, leurs besoins et leurs aspirations, leur mode de vie, leurs
préférences… ne donne pas le plan détaillé pour concevoir le produit ou
service qu’ils apprécieront, mais constitue un terrain d’inspiration
pour nourrir l’intuition ou l’imagination des designers et des
marketers.
Mais l’inspiration est avant tout une
attitude, une posture mentale synonyme de souplesse, d’aisance et de bon
sens. Quand on est inspiré, on réutilise mieux ses diverses
connaissances, on voit des liens entre les choses, les solutions
arrivent toutes seules et, cerise sur le gâteau, on s’épanouit plus dans
son activité. Soudain, de la masse informe et floue de nos pensées, de
nos réflexions et de nos ressentis sur un sujet, les idées surgissent,
en un éclair, comme venues de nulle part. Lumineuses, révélations
claires qui expliquent comment nos pensées aux contours imprécis peuvent
s’emboîter en un tout cohérent et pertinent par rapport au sujet qui
nous intéresse.
Victor Hugo écrivait dans Choses vues « [qu’]une
pensée contient toujours deux sortes de choses, celles qui y sont
venues par inspiration, et celles qui y sont venues par alluvion »
pour expliquer que l’inspiration est un processus qui dépasse la
mobilisation et l’assemblage des idées et de pensées connues, ou de
poncifs, et qui découle d’un véritable mécanisme complexe de création.
D’où vient alors cette aptitude humaine à l’inspiration ?
Les sciences du cerveau et de la cognition
Nous pourrions suivre les recommandations de Roland Topor,
artiste aux multiples facettes, qui a dû être bien inspiré pour mener
de front ses activités artistiques éclectiques d’illustrateur,
dessinateur, peintre, écrivain, poète, acteur, cinéaste et chansonnier.
Il pensait qu’il « vaut mieux ne pas trop chercher à savoir d’où vient l’inspiration, sinon on devient systématique ».
Toutefois, comme l’inspiration ressemble
plus à un processus d’émergence inconscient qu’à une méthode
systématique consciente de production d’idées, il semble intéressant de
décrypter ce processus d’émergence de l’inspiration. S’il se révèle
quasiment impossible de montrer le cheminement intellectuel qui conduit à
l’apparition d’une inspiration heureuse, il semble tout à fait possible
d’identifier et de cultiver l’état d’esprit qui sous-tend l’aptitude à
l’inspiration.
Michel Bourguignon,
chercheur au service de médecine nucléaire de la faculté d’Orsay, pointe
que les états d’inspiration et de créativité, mais aussi du bonheur,
seraient induits par une synchronisation neuronale : tout se passe comme
si, soudain, les neurones se synchronisaient dans la transmission en
pulsant à la même fréquence pour provoquer un « déclic créatif », qui sous-tend la capacité de notre esprit à reconnaître des formes très rapidement. Charles Limb,
chercheur américain de l’université de San Francisco et musicien
amateur, a étudié le cerveau de douze pianistes de jazz cherchant
l’inspiration de leur improvisation dans des photos de visages exprimant
une émotion, cela grâce à l’imagerie par résonance magnétique
fonctionnelle.
Il a mis en évidence que le cerveau n’est pas binaire, avec un mode « créatif » et un mode « non créatif
», mais fonctionne avec un degré plus ou moins grand de créativité en
fonction des situations. Les chercheurs ont alors constaté qu’une région
du cerveau, le cortex dorso-latéral, se mettait « en veille »
lors de l’expérience. Cette zone est notamment impliquée dans la
planification et le contrôle du comportement. Cela signifie,
concrètement, qu’inspiration rime avec lâcher-prise : il s’agit
d’accepter de ne pas maîtriser consciemment le cheminement de la
réflexion sur le sujet pour laisser son esprit vagabonder autour de la
question et du problème, sans jugement ni limite, et faire confiance à
son intuition pour qu’émergent des idées.
Illustrations : Amélie Barnathan