PDG au RSA, le meilleur job de ma vie
Par Tristan Laffontas, cofondateur de MoiChef
Par
Les Experts
|
le 5 juin 2017
| http://www.frenchweb.fr
Bonjour, je m'appelle Tristan Laffontas et je suis cofondateur de la start-up
MoiChef. Je suis également au RSA.
Il y a un an exactement, sur un coup de tête dont j’ignore encore
aujourd’hui l’origine, je publiais sur notre page Facebook un article
intitulé «
Notre startup MoiChef n'a plus d'argent. Quel impact sur l'avenir? Les explications.»
J’ai
eu peur, extrêmement peur en le publiant. Humiliation, perte de
crédibilité … pas facile de baisser la garde publiquement quand tout ce
qu’on attend des start-up, c’est de parler de levées de fonds en
millions d’euros.
L'euphorie
Tout s’est emballé très vite. Quelques heures après la publication, je
me rappelle être allé à la boxe et voir mon téléphone par terre
s'allumer non-stop. Les premiers médias ont commencé à relayer l’article
et à amplifier les partages.
Au final, 270 000 personnes ont lu l’article sur Facebook, auxquels il
faut ajouter les médias qui ont repris l’article intégralement sur leur
site (Les Echos, Atabula, La Tribune,
FrenchWeb…) 4 jours plus
tard, j’étais en direct sur BFM Business et j'annonçais qu’à la demande
des centaines d’emails et de commentaires que nous avions reçu, nous
allions lancer une campagne de crowdfunding (financement participatif).
Quatre jours après le début de la campagne (sur 40 jours) nous avions dépassé l'objectif de 10 000 euros.
Environ un mois plus tard, nous finalisions enfin la levée de fond
auprès du Groupe Bernard Magrez qui a investi 100 000 euros dans
MoiChef.
Retour à la vraie vie
Passé l’euphorie, le cours des choses a repris tranquillement. Certes,
avec une notoriété nouvelle, mais toujours au chômage. 110 000
euros c’est génial (encore merci Bernard Magrez de nous avoir fait
confiance, ainsi qu’à tous ceux qui ont participé à notre campagne
Ulule) mais une start-up, c’est un marathon, pas un sprint. Alors pour
tenir, nous avons continué à nous serrer la ceinture, toujours sans se
verser le moindre centime.
Cette bouffée d’oxygène nous a permis d’avancer plus sereinement et de
faire évoluer le service. Le plus gros changement est arrivé en
septembre quand nous sommes passés d’une livraison parisienne à une
livraison nationale. Plus qu’un simple changement de prestataire, nous
avons dû revoir tout notre packaging et notre méthode de production des
Box MoiChef.
Qui dit «production» dit aussi charlotte, blouse et surchaussures. Sexy.
Le décollage
A partir de ce moment, les choses ont commencé à accélérer. La
livraison nationale nous permettait bien sûr de livrer beaucoup plus de
personnes, mais également d’accéder à des médias nationaux qui nous
boudaient jusqu’alors. Nous avons également été séduits par quelques
opérations de communication payantes, malgré la réticence de nombreuses
personnes de notre entourage. Elles avaient raison. De toute évidence,
avoir de l’argent a bridé notre créativité et nous a poussé vers des
solutions plus simples. Et chères. Et inefficaces.
Une start-up, c’est un marathon, pas un sprint.
En octobre nous avons -enfin- réussi à structurer un modèle
d’abonnement pour nos clients: le graal d’un point de vue économique
puisque nous n’avions alors qu’à nous concentrer sur l’acquisition de
nouveaux clients. La rétention (le fait qu’un client ne se désabonne
pas) dépendrait de la qualité de nos Box, et sur ce point, nous étions
très confiants.
En quelques semaines, nous sommes passés de 0 à 150 abonnés et la tendance était très positive.
Noël: l'explosion en plein vol
Notre secteur d’activité est très cyclique, certaines périodes sont
clés telle que la fête des mères et surtout Noël. Nous avons donc
consciencieusement préparé les fêtes de fin d’année avec un grand chef.
Non, un -très- grand chef. Le genre de chef que tout le monde connaît et
qu’on a tous vu à la télé. Le chef qui permet d’avoir d’énormes
retombées presse, de très gros partenariats, le chef qu’il nous fallait
pour Noël en somme.
Nous avons donc fait de nombreux déplacements, réalisé des centaines de
photos, fait venir un cameraman professionnel pour cette occasion si
spéciale.
Nous avons même exceptionnellement ajouté un dessert, donc deux fois
plus de photos, de vidéos, et un deuxième manuel de recette à réaliser
(ce qui représente -beaucoup- de travail. Abonnez vous à la
version gratuite de MoiChef pour en recevoir un, vous comprendrez).
Deux semaines avant Noël, le chef m'appelle, il n’aime pas le dessin qu’on a fait de lui. On va le refaire.
Deux heures plus tard, appel de son assistante, tout compte fait il annule tout. Bip.
C’est là que j’ai compris pourquoi tant d’entrepreneurs se mettent à la méditation.
Malgré un email larmoyant expliquant l’impact catastrophique que cette
annulation aurait sur MoiChef, il n’y avait pas de retour en arrière
possible. Son assistante ne lui a probablement même pas transféré le
message et de toute façon, il était déjà reparti à l’autre bout du
monde.
Je l’aimais bien son croquis moi. Dommage.
#meditation
Certains chefs nous demandent s’ils peuvent l’imprimer au format
Poster pour leur restaurant. D’autres l’utilisent pour leur photo de
profil Facebook.
Gueule de bois
Après la dure période où j’ai dû annoncer cette nouvelle à mon équipe
qui avait travaillé d’arrache pied, aux journalistes qui avaient déjà
écrit leurs articles, aux partenaires qui comptaient sur nous et surtout
à nos clients qui avaient annoncé à leurs familles qu’ils allaient les
impressionner pour Noël, nous avions clairement la gueule de bois.
Comme
le montre ce magnifique schéma, cette période a progressivement laissé
place à l’acceptation, puis au pardon (au fond, les goûts et les
couleurs ça ne se discute pas et je suis certain qu’il n’a jamais reçu
mon email) il était donc temps de passer à «Élaboration d’un nouveau
projet».
Reset
Le vide laissé par cette «surprise» nous a permis de sortir du stress
quotidien puisque nous n’avions… plus rien à faire. Littéralement.
L’occasion parfaite pour se poser des questions de fond. Qui sommes
-nous? Que faisons-nous? Où allons-nous? (sérieusement)
De toute évidence, nos forces sont:
-
Les chefs incroyables qui nous ont fait confiance (45 à ce jour, dont plus de 20 étoilés).
-
Notre capacité à transformer un charabia technique en une recette
compréhensible par tout le monde (le fameux manuel de recette).
-
Notre capacité à convaincre les producteurs qui travaillent avec les chefs de nous fournir leur produits exceptionnels.
Quelle pouvait bien être notre valeur ajoutée à livrer une pomme de terre et des carottes?
Mais surtout, nous avons réalisé (difficilement) que nous n’avions
aucune valeur ajoutée à livrer de la laitue ou de la crème fraîche.
Jusqu'à ce jour nous avions pris le parti de livrer -tous- les produits
pour refaire le plat, y compris les produits frais. Une évidence.
Mais en y réfléchissant bien, quelle pouvait bien être notre valeur
ajoutée à livrer une pomme de terre et des carottes? Pourquoi leur faire
traverser la France quand nos clients peuvent les trouver dans leur
cuisine, ou dans leurs commerces habituels?
Après de longues discussions internes, de nombreux appels auprès de nos
clients et de nos chefs partenaires la réponse était sans équivoque:
concentrons nous sur notre réelle valeur ajoutée et sortons du carcan de
la «livraison en température dirigée».
La nouvelle Box MoiChef sans produits périssables était née.
Note aux entrepreneurs qui réfléchissent à se lancer dans la livraison
de produits frais: contactez-moi (mes infos sont en bas de cet article).
Nouveau départ
Quand on est là, c’est dur d’y croire:
Mais la réalité c’est qu’en persévérant, on finit inévitablement par arriver là:
Aujourd’hui, grâce à ce coup de massue qui nous a permis de changer de
modèle, nous avons plusieurs nouveaux abonnés chaque jour, nous vendons
beaucoup de cartes cadeaux et demain vous verrez des Box MoiChef dans
plein de points de vente en France.
Passer d’une DLC (Date limite de Consommation) de deux jours à presque
un an, ça change beaucoup, beaucoup de choses. D’ailleurs, il faut
combien de temps pour livrer à New York?
La nouvelle Box MoiChef. Les produits frais sont à acheter la veille du repas, accompagné par les conseils du chef.
Cette nouvelle Box MoiChef contient donc 5 à 6 produits d'exception,
une bouteille de vin et le manuel de recette pour refaire le plat du
grand chef. Elle est plus pratique car vous n’êtes pas -obligé- de la
cuisiner sous 48h, mais surtout moins chère (39,90 euros avec
suffisamment de produits pour cuisiner 6 assiettes), bouteille de vin
incluse.
CEO au RSA
Le temps passe et en toute logique, j'ai vu arriver la fin de mes
droits au chômage. Étant donné que je ne me verse toujours pas un
centime, j'ai pu demander le RSA (Revenu de Solidarité Active). C'est
une démarche aussi simple que compliquée. Simple car il suffit de
prendre rendez-vous à la CAF pour activer ses droits en deux semaines.
Compliquée parce que c'est très dur pour l’ego. Garder le sourire quand
on explique à ses parents qu'on est désormais au RSA (contre un très
beau salaire avant de se lancer dans l’aventure entrepreneuriale),
garder le sourire quand -même pour rire- on parle d’assistanat.
Aussi rapidement que j'ai accepté mon passage de salarié à celui de
chômeur, j'ai fini par accepter mon passage du chômage au RSA.
Pour ceux qui se posent la question, la réponse est «522,84 euros».
Le meilleur job de ma vie
Alors oui, avec ce budget, je me fais entretenir par ma copine, quand
je sors je choisis la bière en happy hour et j'ai arrêté d'aller au
restaurant (sauf quand un très grand chef m’y invite, et ça c'est
sympa). Néanmoins, je peux affirmer avec certitude que je n’ai jamais
été aussi heureux. Je me suis créé le meilleur job de ma vie, et je sais
qu'en insistant je pourrai bientôt dire au revoir à la CAF.
La route va encore être longue et semée d'embûches, mais plus le temps
passe et mieux nous savons les éviter. Tous les créateurs d’entreprise
que j’ai rencontré et qui ont réussi sont passés par une grosse phase de
doute. Cette phase est désormais derrière nous, et c’est en partie
grâce à vous.
Et vous, comment voyez-vous le MoiChef de demain?
Je n’ai jamais eu d’échanges aussi riches qu'après la publication de
mon article l’an dernier. Quel que soit votre profil (passionné(e) de
cuisine, entrepreneur, partenaire, les trois ou aucun), si vous avez la
moindre question, remarque, n’hésitez pas à m’écrire sur
tristan@moichef.fr (je réponds à tous mes emails).
Pour envoyer un mot doux à toute l’équipe d’un coup, c’est ici:
contact@moichef.fr.
Que les choses soient bien claires, je ne souhaite à -personne- d'être
au RSA. C'est financièrement intenable et c'est uniquement la
perspective du succès de MoiChef qui me permet de me lever tous les
matins.
Merci aux nombreuses personnes qui m’ont poussées à écrire cet article un an après. Vous aviez raison, ça fait du bien.
Tristan Laffontas est le cofondateur de MoiChef.
Lire aussi: Notre start-up n’a plus d’argent. Quel impact sur l’avenir? Les explications.