Mieux encadrer l'utilisation des drones civils dans le ciel européen sans pour autant briser les ailes d'un nouveau secteur économique prometteur : tel est le chantier compliqué auquel se sont attelés, depuis plus d'un an, les législateurs européens. La Commission et le Parlement européens voudraient parvenir à une réglementation commune début 2016. De son côté, l'administration française prépare, pour la fin de l'année, un toilettage de la réglementation nationale de 2012. Cependant, si la filière s'accorde sur la nécessité de mieux encadrer l'usage des drones civils, les mesures préconisées sont loin de faire l'unanimité.
En France, les projets de la Direction générale de l'aviation civile de restreindre l'utilisation des drones de loisirs ont suscité l'émoi de la communauté des dronistes amateurs cet été. L'administration aurait voulu interdire purement et simplement leur usage au-dessus des espaces publics. Face à la levée de boucliers des utilisateurs et des fabricants, qui ont déjà vendu 100.000 drones de loisirs l'an dernier en France, il ne serait finalement plus question que de restreindre l'altitude maximale à 50 mètres, au lieu de 150 mètres actuellement. Mais d'autres mesures destinées à lutter contre les vols illicites sont toujours à l'étude, comme l'identification obligatoire des appareils et la création de nouvelles zones d'interdiction.
Au niveau européen, le groupe de travail parlementaire a rendu fin juillet son rapport sur ce que pourraient être les grandes lignes de la future réglementation communautaire. Avec, là encore, des voix discordantes. Une première version écartait en effet, pour des raisons de sécurité, la possibilité de vols hors de la vue de l'opérateur. Ce qui aurait rendu impossibles certaines utilisations professionnelles, comme l'inspection des lignes électriques ou ferroviaires et la surveillance des grandes surfaces. Le lobby des professionnels, dont la Fédération professionnelle du drone civil (FPDC) en France, aurait finalement permis de rétablir la possibilité des vols hors vue dans la version amendée du texte qui devrait être soumise au vote du Parlement européen cet automne.
« Nous avons également revendiqué qu'une distinction soit faite entre les amateurs et les professionnels, en laissant plus de possibilités pour les usages professionnels, explique Stéphane Morelli, le président de la FPDC. Nous avons été entendus par les députés européens. Malheureusement, on ne retrouve rien de tout cela dans le projet de réglementation par l'Agence européenne de sécurité aérienne. »

Une orientation différente

Pour l'heure, seuls les drones de plus de 150 kilos, quasi inexistants en Europe, entrent dans le champ d'action de l'Agence européenne de sécurité aérienne (AESA). Tous les autres sont encore de la seule responsabilité des aviations civiles nationales. L'un des enjeux de la future réglementation européenne serait donc de confier à l'Agence européenne de sécurité aérienne le contrôle de l'ensemble du secteur. Mais force est de constater que le projet de l'AESA diffère des orientations françaises.
L'AESA propose de classer les drones en trois catégories, en fonction du risque potentiel. La première catégorie, dite « ouverte », concerne les vols opérés à vue, sans risque a priori. Ils ne nécessiteraient aucune autorisation. La deuxième catégorie, dite « opération spécifique », concerne les vols présentant un risque particulier, comme le survol d'une foule, et pour lesquels une autorisation administrative des aviations civiles nationales serait nécessaire. La troisième catégorie, dite « certifiée », engloberait les drones nécessitant des règles de certification comparables à celles des avions actuels emportant des passagers. Ceci dans la perspective encore lointaine où arriveraient un jour des avions sans pilote.
« La première catégorie, ouverte, ne fait pas vraiment la distinction entre amateurs et professsionnels, regrette Stéphane Morelli. Quant à la deuxième catégorie, c'est l'usine à gaz. Elle imposerait des contraintes bien plus importantes que l'actuel système français des autorisations préfectorales. »
De son côté, une association de pilotes d'avion, l'ECA (European Cockpit Association), réclame des mesures encore plus restrictives, comme l'interdiction du vol hors vue, une altitude maximale de 50 mètres et surtout une limitation de la masse des drones à 500 grammes seulement. Ceci, afin d'éviter tout risque de dommage lors d'une éventuelle collision avec un avion. « Ce n'est pas compatible avec un usage professionnel des drones », estime Benjamin Benharrosh, cofondateur du fabricant et opérateur de drones français Delair-Tech. « Les drones sont un enjeu économique majeur et, jusqu'à présent, l'Europe et la France ont pris de l'avance dans ce domaine. Attention à ne pas revenir en arrière. »