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La transformation digitale ne bouleverse pas seulement la manière dont
on travaille, elle transforme également le cadre de ce travail. Ce sont
les notions mêmes d’emploi et de contrat de travail qui sont
chamboulées, selon certains, voire amenées à disparaître ou à n’être
que l’apanage de quelques profils favorisés.
Parlons d’un sujet à la mode : l’ubérisation du travail. Sujet à la mode mais terme galvaudé.
L’ubérisation du travail recouvre une foule de choses :
• la rareté du travail salarié telle qu’on l'a connue
• la rareté du travail tout court (même si en la matière je parlerai
davantage de la watsonisation à venir que de l’ubérisation en cours)
• la dégradation des relations employeur/employé, ce dernier devenant
une commodité, substituable, interchangeable, un mal nécessaire auquel
on dénie le moindre droit, la moindre protection.
Si du côté des clients un Uber connaît un succès retentissant, si du
côté des chauffeurs il a permis à beaucoup de sortir de l’ornière et
de trouver une activité, voire de trouver une place dans la société, on
ne peut pas ne pas entendre non plus la voix des déçus. De tous les
chauffeurs qui voient leur situation se dégrader du jour au lendemain,
voient leurs conditions de collaboration changer sans autre forme de
procès, se voient exclure du programme sans autre recours, voire se
voient dénier le droit à se regrouper dans un syndicat pour faire valoir
leurs droits. Bref, le côté sombre du travail flexible, qui nous fait
bien comprendre que ce qu’on désigne souvent sous le nom
enjolivé d’économie du partage ou économie collaborative (où sont le
partage et la collaboration dans le système ?) est en fait une économie
de la demande.
Le vrai enjeu derrière le freelancing : les plateformes
Une réponse facile est de dire que c’est logique. On rentre dans une
économie de freelance et le freelance est moins protégé qu’un salarié.
Il n’a pas de contrat de travail avec un employeur mais un contrat de
prestation de services avec un client avec tout ce que cela implique. Le
volet «social», assurances, etc., est de la responsabilité du
travailleur et les conditions d’exécution et de rupture du contrat, si
elles sont supposées être négociées, sont en fait imposées par le plus
puissant des deux contractants. Donc pas le travailleur.
C'est une version dégradée du contrat de travail, adaptée au monde de
demain, qui favorise l’activité et la flexibilité au détriment d’une
certaine sécurité dans le temps. De toute manière, c’est comme ça. C’est
là où nous allons et au moins ça met des gens au travail, peu importe
le travail et les conditions dans lesquelles il se réalise. Finalement,
peu importe qu’on soit d’accord ou pas avec ce qui va arriver : c’est
irrémédiable et c’est la moins mauvaise solution dans le monde qui nous
attend. Sauf que ce n’est pas du tout ce qui nous attend : la réalité
est même pire.
Vers la «plateformisation» du travail
Ce qui caractérise l’économie vers laquelle nous allons n’est pas
qu’elle soit une économie de freelance mais une économie de plateformes.
A ce titre, je parlerai plutôt de «plateformisation» du travail plutôt
que d’ubérisation.
La plateforme, c’est ce qui permet à une entreprise, Uber ou autres, de
mettre en relation client final et prestataire à grande échelle et à
coût marginal quasi nul. Il n’y a pas à proprement parler de contrat
entre l’opérateur de la plateforme, ses clients et ses prestataires,
juste l’acceptation de conditions générales d’utilisation (CGU). Dans la
pratique, il y a bien des contrats, implicites, mais ce qui régit tout,
notamment dans la relation avec les prestataires, ce sont les
conditions générales d’utilisation. La prestation ne se passe que dans
le cadre des CGU, une fois que celles-ci sont acceptées.
Les CGU sont l’avenir du contrat de travail
Il est beaucoup plus simple de modifier unilatéralement des CGU qu’un
contrat, fût-il de prestation ou de travail. On peut y ajouter des
clauses comme le renoncement à certains droits et le seul fait de ne pas
accepter la modification unilatérale prive le prestataire de son
activité. Il sort du système. Il n’est ni contractant, ni salarié, ni
prestataire : il est l'utilisateur d’une plateforme dont il doit
accepter les conditions générales d’utilisation avant de rentrer dans
une logique de prestation plus classique. Les CGU sont la barrière à
l’entrée qui permettent ensuite de contractualiser «normalement»,
sachant que les clauses les moins acceptables étaient dans les CGU qu’il
fallait accepter en amont.
L’avantage des CGU, c’est qu’on peut y mettre des clauses qui ne
seraient jamais acceptables dans un contrat de travail ou un contrat
classique. Le prestataire est libre d’accepter ou non, d’utiliser la
plateforme ou non. Ainsi s’il le veut, il se plie à ses règles. Il n’est
ni employé, ni contractant. C'est juste un utilisateur.
A l’heure de l’économie des plateformes, ne cherchez pas plus loin
l’avenir du contrat et de la relation de travail : ce sont les
conditions générales d’utilisation des plateformes.
De quoi faire frémir ou satisfaire les DRH…. selon leurs valeurs.
Article initialement publié sur Bloc-notes, le blog de Bertrand Duperrin.
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Bertrand Duperrin est
Digital Transformation Practice Leader chez
Emakina.
Il a été précédemment directeur conseil chez Nextmodernity, un cabinet
dans le domaine de la transformation des entreprises et du management au
travers du social business et de l’utilisation des technologies
sociales.
Il traite régulièrement de l’actualité social media sur son
blog.
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