Publié le 17/01/2016 L'Observatoire Influencia http://www.influencia.net/fr/
La génération Y, qui
couvre la population née entre 1977 et 1994, est souvent brandie comme
une clé de compréhension du monde actuel. Prétendument digitale et
rebelle, les caractéristiques de cette génération sont pourtant trop
généralistes pour permettre de comprendre notre monde dans sa complexité
et sa réalité.
Est-ce que la génération Y est vraiment un fait marquant ? Juste une tendance ? Ou révèle-t-elle autre chose quant à la dynamique de notre société ?
Qu’est ce qu’une génération ?
C’est un segment de population vivant ou
ayant vécu à une même période historique et partageant un certain
nombre de représentations et de pratiques liées à cette période. Par
contraste, cela veut dire que les phénomènes qui se déroulent sur de
longues périodes ne sont plus générationnels puisque l’on ne peut plus
les lier à une période. Cela aura son importance par la suite.
Qu’est ce qu’un Y (enfin ce que l’on nous en dit) ?
Si l’on synthétise la littérature au
sujet des Y, l’on voit qu’ils sont nés dans un monde technologique dont
ils appréhendent parfaitement les codes, ils sont immunisés contre le
marketing et le mass media, ils sont super adaptatifs et en même temps,
ne se laissent pas dicter leur comportement (notamment vis-à-vis des
employeurs corporate) du fait qu’ils n’ont connu que la crise et ne
donnent aucune crédibilité au “monde de l’entreprise”. Voilà.
Ce qui façonne la génération Y n’est pas générationnel
Les 4 grands traits censés structurer
cette génération (la crise, le digital, la rébellion face à l’autorité,
le segment temporel) entrent en contradiction avec la définition même de
ce qui définit une génération.
- le digital ?
- le digital (et notamment sa maîtrise) est l’un des faits fondateurs de la génération Y que l’on appelle aussi digital natives,
- sauf qu’il l’est évidemment aussi pour la génération suivante, les vingtenaires (ou Z),
- tout comme il l’est aussi pour la
génération précédente, qui rattrape son retard digital à toute vitesse. À
ce propos, la moyenne d’âge des utilisateurs de Facebook est de … plus de 40 ans (soit la génération X) ! Pour finir de se convaincre, en 2015, 57% des 40-59 ans ont un smartphone.
Le digital traverse le temps comme une tendance de fond, bien plus que comme un fait lié à une génération.
La crise ?
Les Y ont grandi dans la crise dit-on.
N’était-ce pas le cas de leurs prédécesseurs ? Et si l’on regarde ce que
disent les chiffres, ils confirment (depuis 1950) une baisse du taux de
croissance du PIB en France. La crise accompagne déjà plusieurs
générations, et n’est donc pas en tant que tel un fait générationnel
particulier. Enfin sur le côté global de la génération Y. Aux USA, en
Inde ou en Chine (qui regroupe 200 millions de “genY”), la situation
économique est différente puisque c’est la croissance. Or la crise est
réputée être l’un des éléments fondateurs de la génération Y. Allez comprendre...
Rebelles les Y ?
Les Y en entreprise correspondent au middle-management (environ 35 ans). Ce middle-management, prétend à accéder aux postes de senior et top managers et a du mal à percer ce “plafond gris”
(grey ceiling) car les boss cinquantenaires et soixantenaires s’y
accrochent. En aval, ils sont obligés de protéger leur poste face aux
assauts des jeunes générations qui souhaitent intégrer l’entreprise.
Bref, et sans préjuger des attentes ou
des besoins humaines de cette catégorie, nous avons une génération toute
aussi contrainte et conservatrice que la précédente. La rébellion des Y
en entreprise est un mythe qui dissimule plutôt la vétusté des modes de
management traditionnels qui n’ont jamais vraiment été remis en
question.
Le timing ?
Auparavant, les générations duraient 9 à 10 ans; par exemple Gen X (1966-1976), Baby Boomers
(1946-1954). N’est-il pas étonnant qu’à une époque où l’on parle tant
de l’accélération technologique et du raccourcissement du temps, l’on
double la durée des générations que l’on étudie ? En effet, en courant
de 1977 à 1994, la génération Y dure 17 ans.
Ainsi, nous sommes face à une génération
qui s’inscrit dans un temps long mais s’insère dans une époque
caractérisée par le manque de visibilité et le temps court. Une
incohérence de plus.
La génération Y, c’est sérieux ou pas ?
Si l’on regarde en arrière, c’est le magazine Ad Age dédié à la communication et à la publicité, qui a créé le concept de génération Y en 1993, tandis que la génération X est issue du travail de deux journalistes : Charles Hamblett et Jane Deverson (Generation, Fawcett Publications, 1964). La génération Y
est donc un concept marketing destiné à appréhender une nouvelle
génération de consommateurs à priori réfractaires aux messages
publicitaires là où la génération X est issue d’une réflexion sociologique et journalistique.
Ainsi, derrière l’illusion d’une
classification des générations, il n’y a pas de cohérence en termes de
raisonnement. Le Y c’est du marketing, c’est tout. Quel paradoxe que de
se retrouver cloîtré dans un concept marketing, alors que le marketing “à la papa” fait justement partie de ces choses que beaucoup d’entre nous rejettent.
Un dernier mot
La génération Y n’est donc
qu’un concept marketing dont les faits structurants sont des tendances
de fond bien plus que des faits purement générationnels. L’angoisse du
vide et le besoin ardent de simplification l’a popularisé auprès des
relais d’opinion, en masquant le manque de rigueur qui a servi à le
définir. Ces tendances de fond touchent plusieurs tranches d’age. Et si
les Y n’ont pas vraiment de spécificité, ils sont, je pense la goutte
qui a fait déborder le vase de toutes les attentes non satisfaites de
plusieurs générations avant eux. Ils sont le signal qu’il faut se
défaire des génération “slogan” pour comprendre un monde
autrement plus complexe, aux frontières plus floues et subtiles et donc
autrement plus passionnant aussi.
Anthony Gutman
Après
avoir fondé l’agence Passworld en 1997, et initié les premiers sites
web de l’industrie musicale, il crée en 2007 avec Hanane El Jamali,
Wallace, une agence de planning stratégique. Dès 2011, il approfondit
une réflexion sur les nouveaux usages qui aboutira à la création de
la communauté Remix en janvier 2013.Passionné de géopolitique et de
géostratégie, il est fasciné par le progrès. Qu’il soit humain ou
technique, il s’intéresse à tout ce qui extrait l’homme de sa
condition initiale.
Capture d'écran: http://www.influencia.net/fr/ |