Allons-nous devoir donner un état civil aux robots ? http://www.influencia.net
Publié le 23/02/2017
Selon
les juristes de l'UE, accorder une sorte d'identité aux robots
permettrait d'établir plus facilement les responsabilités et de régler
les différends. Un statut de "personnes électroniques" est en discussion
à la commission des affaires juridiques du Parlement européen. Il ouvre
le débat sur l'intelligence artificielle au service du quotidien de
l'Homme.
"Les machines de reconnaissance
vocale ont pour la première fois surpassé les humains en la matière. Les
progrès effectués par celles-ci sur les trois dernières années ont été
supérieurs à ceux des trente dernières années ". Le constat a été dressé début 2016 par Tim Tuttle, CEO et créateur de MindMeld, start-up spécialisée dans les technologies vocales. Un an plus tard, le CES 2017 a
confirmé l'avènement des assistants personnels virtuels. L'intelligence
artificielle se met service de l'Homme : qu'ils équipent des voitures,
des robots, un réveil, des réfrigérateurs ou même une console de jeu,
les assistants sont prisés. Au Japon, l'arrivée sur le marché de
l'hologramme en 3D, Azuma Hiraki, comble même la solitude des moutons en costard-cravate qui bondent les métros et les bus de l'archipel.
Depuis les échanges avec Siri ou Cortana, l'assistance par interaction vocale a franchi un cap. Alexa d'Amazon, Google Assistant, SmartThings Hub chez Nvidia, Bonjour de Holi
: tous se veulent de véritables domestiques capables de gérer votre
maison, vos agendas, vos courses, vos déplacements. Et dans nos vies
professionnelles ? Si l'homme non augmenté est appelé à mourir dans
certaines industries, le surhomme augmenté sera (avant tout ?) un "suropérateur" assisté d'un robot ? Ce débat autour de l'avenir du robot humanoïde dans nos vies professionnelles, INfluencia s'y était invité à l'automne dernier en interrogeant Alexis Girin, responsable de l'équipe robotique, cobotique et réalité augmentée de l'Institut de recherche technologique Jules Verne de Nantes.
Début 2017, les membres du Parlement européen ont estimé qu’il serait bien d’accorder un jour des droits aux robots en leur conférant un statut de "personnes électroniques". Pour approfondir et élargir une discussion fondamentale, qui concerne la prochaine civilisation humaine, INfluencia a sollicité l'expertise de Nils Lenke, senior director of corporate research de Nuance,
développeur d’assistants virtuels (comme Emilie de Numéricable) et
éditeur de solutions de reconnaissance vocale et de compréhension du
langage.
INfuencia : comment juger de ce qu’un robot peut et ne peut pas faire ?
Nils Lenke : c’est une
très bonne question. Il est en effet difficile pour les humains de
déterminer ce qu’un robot peut et ne peut pas faire. D’un point de vue
scientifique, cela signifie que nous avons besoin de quelque chose qui
nous permette d’aller plus loin que le test de Turing, comme le Winograd
Schema Challenge par exemple. Dans la vie de tous les jours, nous avons
besoin de nous assurer que les robots possèdent des métaconnaissances,
c’est-à-dire des connaissances sur leurs connaissances, afin de répondre
à des questions comme "que sais-tu ?" ou encore "que sais-tu au sujet
de X ?".
IN : où se situent les limites de leur champ d’action ?
N.L. : les systèmes
actuels d’intelligence artificielle sont bien souvent restreints à
certains domaines. Même si les technologies sous-jacentes, comme les
réseaux neuronaux poussés, peuvent être appliquées à un grand nombre de
tâches différentes, le réseau neuronal peut seulement résoudre la tâche
pour laquelle il a été entraîné. Ces systèmes sont particulièrement
performants pour faire ressortir des modèles et des informations depuis
un large ensemble de données, par exemple en matière de reconnaissance
vocale, d’analyse de l’image, d’analyse du comportement humain en vue
d’anticiper ses préférences personnelles.
IN : comment s’assurer que le processus de décision d’un robot est bien traçable et peut être remis en question si nécessaire?
N.L. : cela constitue
une faiblesse des réseaux neuronaux. Une fois entraînés, il est
difficile de dire où la connaissance se situe exactement et comment les
réseaux parviennent à leurs conclusions. Les systèmes d’intelligence
artificielle, basés sur des expressions logiques, sont davantage
performants à ce niveau car ils permettent de retracer le processus de
raisonnement et de l’expliquer.
IN : faut-il considérer un robot comme une personne morale ou une aide à l'Humain augmenté ?
N.L. : dans le futur,
les systèmes d’intelligence artificielle et les robots prendront des
décisions et agiront de façon de plus en plus autonome -je pense, par
exemple, à la voiture autonome. Ils manquent cependant de conscience et
de connaissance d’eux-mêmes, ce qui, à mon avis, sera le cas pour un bon
moment. Mais il s’agit là d’une question philosophique fondamentale.
C’est pour cette raison que les systèmes d’intelligence artificielle
devraient être vus comme des outils permettant d’aider les humains. Par
ailleurs, la responsabilité des actions est celle des designers et
propriétaires des systèmes, pas des systèmes eux-mêmes.
IN : l'avenir des robots en
entreprise est-il possible uniquement s'il complète et accompagne
l'Homme, notamment en le déchargeant de certaines tâches ?
N.L. : la technologie a
toujours à la fois remplacé certains métiers tout en en créant de
nouveaux. Dans le passé, cela a été particulièrement vrai pour les
métiers manuels dans le domaine de l’industrie manufacturière par
exemple, mais les cols blancs sont aussi de plus en plus affectés. Ici
encore, la quantité de travail ne se verra pas réduite, il s’agira
seulement d’effectuer un travail différent. Par exemple, dans le domaine
du service client, l’automatisation d’une partie du travail de
l’opérateur lui permet de se concentrer sur des tâches plus complexes.
De leur côté, les entreprises peuvent se permettre d’offrir davantage de
services à leurs clients toujours plus exigeants. Evidemment, cela peut
créer des problèmes et questions d’ordre politique, notamment sur
l'évolution du régime fiscal si la façon dont les entreprises créent de
la valeur change.
IN : l'assistant virtuel est-il l'équivalent du cobot pour les particuliers ?
N.L. : les systèmes
d’intelligence artificielle peuvent avoir plusieurs formes et être basés
sur diverses plateformes. Certains sont liés à un terminal spécifique, à
l’image des assistants virtuels qui fonctionnent sur des smartphones.
L’assistant automobile de Nuance fonctionne lui sur du hardware dans une
voiture (et dans le cloud), tandis que les voitures autonomes possèdent
une autre forme d’intelligence artificielle qui contrôle la
fonctionnalité de conduite etc… D’autre part, les chatbots et les
assistants virtuels "vivent" entièrement virtuellement sur internet. Les
robots sont juste une autre forme de plateforme hardware. C'est spécial
parce que cela peut s’apparenter à un humain et peut être capable de
manipuler des objets directement en extrayant de l’intelligence
artificielle de façon concrète et visuelle. Mais du point de vue de la
technologie d’intelligence artificielle, les robots ne sont pas
spéciaux.
IN : les limites à la nouvelle
phase de démocratisation du robot en entreprise sont-elles
technologiques, morales ou culturelles ?
N.L. : les trois
facteurs jouent un rôle. Comme déjà mentionné, l’intelligence
artificielle et le machine learning sont performants pour un certain
type de tâches et ne le sont pas autant pour d’autres. Cela signifie
aussi que nous, en tant que designers de systèmes d’intelligence
artificielle (mais aussi les médias), devons être prudents afin de ne
pas promettre des solutions qui permettraient de résoudre tous les
problèmes du monde. D’autres limites seront créées par les législateurs,
notamment autour de la confidentialité et de la protection des données,
mais aussi pour protéger les humains des dommages créés par les
terminaux autonomes et les robots. Ces limites peuvent être différentes
selon les régions, l’Union Européenne étant peut être plus avancée que
les Etats-Unis par exemple. Ensuite, la vision de la technologie varie
selon les pays. Elle est bien souvent vue plus positivement en France
qu’en Allemagne par exemple. Mais elle évolue aussi au cours du temps.
Ce qui semble inacceptable aujourd’hui peut être considéré comme normal
demain.
IN : comment les industries de la pub et de la communication peuvent-elles profiter de la robotisation et de l'IA ?
N.L. : nous constatons
déjà de nombreuses applications aujourd’hui. Les systèmes d’IA aident à
l’analyse de la communication écrite dans le domaine des réseaux sociaux
ou des communications orales dans les call centers (via la
reconnaissance vocale): ils détectent les émotions ressenties face à un
produit ou à un sujet spécifique et peuvent aussi identifier de
nouvelles tendances. Les "bots sociaux" ont d’ailleurs déjà commencé à
influencer l’opinion publique comme on a pu le voir avec l’élection
présidentielle américaine. Il s’agit d’un domaine qui a clairement
besoin de règles et de régulations. Mais de façon plus positive, ces
technologies peuvent aider à créer des conversations interactives
personnalisées en fonction des besoins et des préférences de chaque
individu, comme les publicités ciblées de façon individuelle (et
potentiellement interactives). De nouvelles agences, notamment dans la
sphère financière ou dans des domaines où les communications écrites
sont très structurées ou formelles (par exemple pour les rapports de
météorologie) ont commencé à laisser des systèmes d’IA gérer la création
de textes. Il est certain que de nombreuses autres applications
apparaitront dans le futur. Pour ce qui est du court terme, l’IA nous
aidera à suivre le rythme de la quantité grandissante des
communications, qu’elles aient lieu sur Internet ou ailleurs.
Source: http://www.influencia.net