lundi 19 juin 2017

L’arrivée d’Amazon dans le Retail, par la grande porte, déclenche une onde de choc considérable! La suite?


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L’arrivée d’Amazon dans le Retail, par la grande porte, déclenche une onde de choc considérable! La suite? http://www.frenchweb.fr

Par Michel de Guilhermier, président et fondateur de Day One Entrepreneurs & Partners

Par | le 19 juin 2017 |  http://www.frenchweb.fr
C'est en quelque sorte un écho parfait à mon post de février dernier «Pourquoi et Comment Amazon Peut et Va Disrupter le Retail Physique!» où j'écrivais que non seulement l'entrée de la pieuvre/du tsunami de Seattle dans le retail était aussi logique qu'inéluctable, mais aussi que certains retailers finiraient par se faire racheter par Amazon…
Amazon a annoncé la semaine dernière qu'il rachetait Whole Foods, une grande chaine américaine de magasins née il y a près de 40 ans, spécialiste des produits bio, belle marque assez inspirationnelle, comptant pas loin de 500 magasins (essentiellement en Amérique du Nord, quelques magasins au UK) et réalisant 16 milliards de dollars de chiffre d'affaires (faites le ratio, vous comprendrez que ce sont des grands magasin des quelques milliers de M2 en moyenne). 8 millions de paniers par semaine au total, et une base estimée de clients uniques – plutôt haut de gamme – autour de 30 millions. Quand je suis à New York, j'adore aller à leur magasin du Columbus Circle, sous le Time Warner Center.
A noter que des rumeurs de rachat de Whole Foods par Amazon avait déja circulées en début d'année, et que Jeff Bezos aurait finalement décidé de passer son tour. Visiblement, quelque chose a fait qu'ils sont revenus à la charge. Whole Foods n'a plus tout à fait le lustre d'il y a quelques années, à périmètre comparable ils étaient à -2,5% en 2016 et étaient encore sur une tendance similaire en 2017. Certains investisseurs activistes s'impatientaient, cherchant à revendre à des fonds de Private Equity, et poussant à des restructurations qui commençaient à porter leurs fruits, ceci expliquant donc peut-être cela: Amazon ne voulant pas voir disparaitre l'opportunité, ou ne voulant pas la payer bien plus cher plus tard.
Quant à Amazon, l'alimentaire était encore l'énorme bastion à conquérir, c'est aux US un marché de 1000 milliards de dollars environ, je crois, sur lequel ils n'étaient encore qu'un joueur marginal. Whole foods était donc de facto une belle cible pour se renforcer dans le secteur, de manière très significative. L'alimentaire est non seulement clé car c'est un énorme secteur, mais il est aussi et surtout clé car c'est un secteur à forte récurrence. En moyenne d'ailleurs, les clients Whole Foods y font 30 passages par an. Qu'y a t'il de mieux pour sceller une forte relation que la récurrence d'achat?
L'acquisition se fait aujourd'hui pour 14 milliards de dollars environ, avec une prime de 28% sur le cours de Bourse de la veille. Au niveau d'Amazon et de ses 500 milliards de dollars de market cap, ce n'est pas une méga acquisition, mais c'est tout de même et de très loin la plus importante de leur histoire (la deuxième étant Zappos en 2009 pour un peu moins de 900 millions de dollars), d'une part, et d'autre part elle est porteuse d'une signification et d'un message assez inquiétant pour la concurrence.
En rachetant Whole Foods, Amazon gagne ainsi de nombreuses années de développement dans son plan retail, ce qui est évidemment une très mauvaise nouvelle pour les retailers à dominante alimentaire qui pensaient encore être tranquille quelques années. L'histoire s'est subitement accélérée hier et ainsi, très logiquement l'action Walmart, 1er retailer mondial avec environ 500 milliards de dollars de chiffre d'affaires, a perdu 5% sur la seule journée d'hier, soit une diminution de market cap de l'ordre de 10 milliards de dollars! Target perdait lui aussi 5%,Costco -7%, et Kroger -10%…
Et cette onde de choc ne s'arrête pas là, avec maintenant quelques centaines de points de présence physique en plus, qui sont autant de bases logistiques pour étendre Prime Now (proposé dans moins de 20 villes actuellement aux US), Amazon pourrait aussi inquiéter les licornes du food/grocery delivery comme FreshDirect, Hellofresh ou Instacart (dont Whole Foods était rentré au capital). Les centaines de millions voire les milliards de $ investis par les capitaux risqueurs dans ces business sont… à risque, des licornes pourraient se retrouver amazonées et décornées.
Whole Foods offrant déja une livraison en 1h, via justement Instacart, on peut s'attendre à ce qu'Amazon mette maintenant le paquet dessus et reprendra à son compte ce service. Il va cependant falloir casser le contrat (qui était sur 5 ans), mais je ne crois pas que ça dérange réellement Amazon de payer pour fortement pénaliser un concurrent dans ce service clé.
Un Whole Foods moyen c'est 30000 références dont près de 6000 exclusives de belle qualité, on peut aussi s'attendre à ce qu'elles se retrouvent dans les Amazon Go et sur Amazon Fresh.
Je m'attends aussi à ce qu'Amazon fasse profiter Whole Foods de toutes les technologies qu'il a développées pour le retail, et a déja commencé à expérimenter avec Amazon Go. Il est clair qu'il sont très en avance en la matière, même s'il reste beaucoup à faire, ce pourquoi j'expliquais en février dernier qu'ils avaient largement les moyens de disrupter le retail physique et d'y réussir là où d'autres n'y arrivent pas, et/ou d'y être bien plus rentable que les autres en optimisant, grâce à la techno, tout le process.
Quant on a la capacité d'offre une livraison ultra-rapide au meilleur coût car on a les technos et les meilleurs process, ou quant on peut offrir aux consommateurs l'option de venir se servir dans un magasin sans passer par une caisse quelconque car on maitrise d'autres technologies, que va t'il rester aux retailers qui ne possèdent pas ces technos? A tort ou à regret, on vit dans une société de consommation d'immédiateté, et Amazon travaille justement d'arrache pieds depuis de nombreuses années sur les technologies propres à satisfaire notre besoin d'immédiateté.
De manière générale, la date du 16 juin 2017 est bien à marquer d'une croix blanche, comme un tournant dans le retail. Dans la presse américaine, on pouvait d'ailleurs trouver des termes comme «grocery apocalypse», «the Amazon bomb»
Je lisais il y a quelques heures que le rachat de Whole Foods par Amazon était la preuve que le retail n'était pas mort. Certes…Je n'ai pour ma part jamais douté que le retail avait encore un bel avenir, mais j'aurais de suite envie de dire d'une part «ça dépend pour qui», et d'autre part «ça dépend comment on s'y prend et ce qu'on y vend»!
Alors, et maintenant, c'est quoi la suite!?
Ca fait un certain temps que les grands retailers généralistes subissaient la concurrence d'Amazon via l'e-commerce et qu'ils devaient très sérieusement se réinventer, revoir l'organisation, le merchandising, réallouer les surfaces, etc. Il y a 5 ans, ils en avaient encore le temps. A l'époque Amazon ne pesait que 60 milliards de dollars de chiffre d'affaires, et ne dégageait pas beaucoup de cash flow. 5 ans plus tard, c'est devenu un mastodonte qui devrait dépasser les 170 milliards de dollars de chiffre d'affaires en 2017, rendant heureux plus de 400 millions de clients de part le monde, jouissant d'un système logistique B2C incroyable, ayant fortement renforcé sa capacité technologique, et dégageant un cash flow très confortable (autour de 15 milliards de dollars / an).
Pour un certain nombre de retailers généralistes ou alimentaires, il est probable que c'est maintenant trop tard. Amazon est juste devenu trop puissant, et eux trop faibles pour réellement se relever. Ils risquent de lutter en vain et de s'étioler progressivement sauf à considérer l'option éventuelle de downsizer radicalement et massivement, et de se focaliser sur quelques segments (géographiques et/ou sectoriels) où ils pourraient encore jouir de quelques avantages concurrentiels, du moins pour quelques temps.
Par ailleurs, pour ceux qui étaient encore sceptique, il n'y a plus aucun doute aujourd'hui qu'Amazon veuille devenir un commerçant multicanal global, avec une forte présence physique, et je pense que dans le futur la firme va acquérir d'autres chaines de magasins, selon les opportunités. En clair, aucun retailer ne sera tranquille. Pour espérer résister, il faudra être une marque-retail intégrée, avec des produits spécifiques incorporant beaucoup de valeur ajoutée, jouissant d'un excellent positionnement, et une marque très forte.
Mais de manière générale, l'insatiable rouleau compresseur Amazon est probablement devenu aujourd'hui non stoppable par quiconque. Sa vision initiale, «start with the customer and work backwards» était simplissime mais d'une pertinence inouie, puis ils ont magnifiquement exécuté à travers les années, améliorant inlassablement l'offre et la proposition de valeur, toujours pour aller encore plus dans le sens du consommateur, et ce notamment grâce à la technologie qu'ils maîtrisent infiniment mieux qu'aucun autre retailer.
Car la technologie, c'est l'ADN même d'Amazon, mais qui est utilisée très intelligemment et à bon escient pour servir le consommateur, ce n'est pas la techno pour la techno. Elle est au service de la mission, qui est de servir le consommateur le mieux possible, dans une perspective très long terme, en allant sans cesse de l'avant («always day one»). Et aujourd'hui, cette approche simple, pragmatique mais diaboliquement pertinente et efficace commence à magnifiquement payer.
Les prochains horizons en matière de technologies appliquées au retail seront certainement liés à l'Intelligence Artificielle au sens large, et Amazon travaille évidemment déja lourdement dessus, avec une bonne avance sur ses concurrents. Lire attentivement les propos de Jeff Bezos dans sa lettre aux actionnaires 2016:
«We’re in the middle of an obvious trend right now: machine learning and artificial intelligence. Over the past decades computers have broadly automated tasks that programmers could describe with clear rules and algorithms. Modern machine learning techniques now allow us to do the same for tasks where describing the precise rules is much harder. At Amazon, we’ve been engaged in the practical application of machine learning for many years now. Some of this work is highly visible: our autonomous Prime Air delivery drones; the Amazon Go convenience store that uses machine vision to eliminate checkout lines; and Alexa our cloud-based AI assistant. (We still struggle to keep Echo in stock, despite our best efforts. A high-quality problem, but a problem. We’re working on it). But much of what we do with machine learning happens beneath the surface. Machine learning drives our algorithms for demand forecasting, product search ranking, product and deals recommendations, merchandising placements, fraud detection, translations, and much more.
Though less visible, much of the impact of machine learning will be of this type – quietly but meaningfully improving core operations. Inside AWS, we’re excited to lower the costs and barriers to machine learning and AI so organizations of all sizes can take advantage of these advanced techniques.»
Autre effet collatéral, le monde du «retailtech» regorge de start-up qui améliorent chacune tel ou tel aspect de l'expérience ou la gestion des magasins (cf ci-dessous), mais quid de ses start-up si beaucoup de leurs clients disparaissent ou se font racheter par un acteur qui est déja intrinsèquement une fantastique société de technologie et qui maitrise dèja tout cela?
CBInsights
Et pour toutes ces start-up du retailtech du dessus (notamment) qui rêveraient éventuellement de se faire racheter une fortune par Amazon, je ne voudrais pas refroidir les enthousiasmes, mais comme le disait récemment un observateur avisé:
«Amazon is a conservative buyer. They think long term and they don’t get seduced by high-flying valuations…. Amazon is unlikely to overpay for a high-flying, fully baked platform as the basis for the next dreamy business. They are more likely to fill gaps through smaller deals, which makes M&A less central to their strategy than it is to a company that expands to entirely new markets through acquisitions.»
Si aucun acteur ne peut aujourd'hui stopper Amazon… je vois néanmoins un scénario
Et à y réfléchir en effet, la seule vulnérabilité d'Amazon qu'on peut imaginer à ce stade, c'est que leur excellence absolue et leur force colossale, qui va les faire grossir encore et encore à un très bon rythme, et encore plus s'ils continuent les acquisitions…va finalement les faire devenir à terme trop gros et trop dominant... et que l'anti-trust s'en mêle!
L'histoire pourrait et devrait se répéter, comme ce fut le cas dans les années 80 avec ATT, démantelée à l'époque en 7 «baby bells», et avant eux encore en 1914 la Standard Oil de John D. Rockefeller, qui fut démantelée en une trentaine de sociétés.
Quand la Standard Oil fut démantelée, au terme d'un procès pour position dominante voire monopolistique, elle faisait un chiffre d'affaires d'environ 1000 milliards de dollars actuels. Amazon n'en est pas encore la, mais ils atteindront sans aucun doute ce chiffre d'ici 7 à 10 ans. Rendez-vous donc entre 2025 et 2030, je prends les paris qu'on s'inquiètera alors plus que très sérieusement de la toute puissance d'Amazon. Et que déja dans 2 ou 3 ans ça va commencer à bruisser.
Aujourd'hui Amazon est l'ami du peuple, ils nous apporte la plus vaste sélection de produits de la terre, à des prix bas, et avec un service parfait. Que demander de plus? Qui pourrait ne pas les aimer et a fortiori s'amuser à les critiquer? Amazon est en France à la fois le commerçant le plus aimé et le plus respecté. Je ne vois encore aucun journaliste parler de «position dominante». Mais je suis sûr que ça va venir assez vite. De fait, via ses ventes en direct et via sa place de marché, Amazon doit déja être pas loin de la moitié du web US dans certains segments…
Un Amazon omniprésent et hyper dominant, un Jeff Bezos qui deviendra dans quelques années l'homme le plus riche du monde avec plus de 100 milliards de patrimoine, tout cela pourrait modifier la perception du consommateur et muer l'image du good guy qu'est aujourd'hui Amazon en un ogre insatiable et sans pitié qui tue des concurrents, qui détruit globalement des emplois, qui «optimise» sa fiscalité, etc…
Finalement, le seul vrai concurrent d'Amazon qui en viendra à bout, c'est probablement lui-même! C'est même presque mécanique et inéluctable… et c'est juste le résultat de leur excellence!
Mais, d'ici la, dieu que ça va devenir compliqué pour beaucoup ! Peut-être que les plus gros, Walmart en tête (4700 magasins aux US, 10 fois plus que Whole Foods), qui aujourd'hui met les bouchées triples (acquisition de Jet.com pour 3,3 milliards de dollars, acquisition de Bonobos il y a quelques jours, etc), peuvent tirer leur épingle du jeu, mais pour les autres, plus petits, avec moins de moyen?
  • L’expert:
michel-de-guilhermier
 
Michel de Guilhermier est le président et fondateur de Day One Entrepreneurs & Partners. Il est aussi investisseur dans le fonds ReachFive. 
 
Lire aussi: 

Non, la France ne doit pas devenir une start-up


Source et capture d'écran: http://www.frenchweb.fr
Emmanuel-Macron

Non, la France ne doit pas devenir une start-up

Mehdi Medjaoui, cofondateur de Webshell et des conférences OAuth.io et APIdays.io http://www.frenchweb.fr

Par | le 19 juin 2017 | http://www.frenchweb.fr Mehdi Medjaoui



A Vivatech, Jeudi 15 juin, Emmanuel Macron dans son discours sur la politique d’innovation de la France, annonçant par là même 10 milliards d’euros d’investissement, a prononcé ces mots en apparence modernes:
«I want France to be a start-up nation. A nation that thinks and moves like a start-up.» (Je veux que la France soit une nation start-up. Une nation qui pense et agit comme une start-up.)
macron
Voici le lien du discours en entier pour ceux qui veulent aller plus loin que la phrase, mais cet article prend en compte tout le discours qui a été prononcé.
C’est selon moi la phrase qui résume le mieux le «manque d’idéologie» d’Emmanuel Macron, qu’on lui reproche depuis des mois et que l’on voit bien avec ses candidats aux législatives…. et je vais expliquer rapidement en quoi cette phrase (et tout le discours derrière par la même) est dangereuse pour la République Française. Car c’est la pire chose qu’il puisse arriver pour la France d’être une nation start-up, qui pense et agit comme une start-up, c’est-à-dire la politique du pivot permanent.
Car 90% des start-up meurent dans les 5 premières années, à cause de leur modèle à très haut risque financier et basé sur l’hyper-croissance. On ne peut pas prendre en otage toute une Nation sur un modèle fait pour être ephemère, sur un modèle darwinien (en) marche ou crève.

La France n’est pas une start-up, elle a déjà son modèle

Non, la France n’est pas une start-up, c’est-à-dire une organisation temporaire en recherche de modèle de croissance et de revenus, comme le définit Steve Blank, l’un des pionniers à théoriser la mentalité start-up dans la Silicon Valley. La France est une nation multi-centenaires, dont le modèle «liberté égalité fraternité» est universel, universaliste et résonne pour l’éternité. Elle n’est plus en recherche de modèle. Elle est dans l’exécution de ce modèle depuis 220 ans.
Non, la France n’est pas une start-up, détenue par un petit nombre d’actionnaires et des fonds d’investissements non élus, autorisés à faire des choix unilatéraux sans contre pouvoir qui s’imposent pour tout le groupe. La France est une nation démocratique, souveraine, dont les représentants sont du peuple, élus par le peuple, pour le peuple et qui cherche la séparation et l’équilibre des pouvoirs dans l’intérêt de tous ces citoyens.

La France ne doit pas penser comme une start-up, elle doit mettre l’innovation au service du progrès

Non, la France ne doit pas penser «make something people want», comme le dirait Paul Graham, le fondateur du plus connu des accélérateurs de start-up qui est YCombinator. La France est une République (res-publica; la chose publique) qui pense l’intérêt général au dessus des intérêts particuliers. On aurait encore la peine de mort si l’on s’était contenté d’accomplir uniquement les choses que les gens voulaient. La France doit penser make what THE people want. Le peuple dans son ensemble. Pas une partie du peuple.
Non la France ne doit pas adopter la stratégie de blitzscaling pensée par Reid Hoffman -fondateur de LinkedIn et investisseur- c’est-à-dire investir des ressources à très grande perte, sur un profil très risqué, misant sur la dette pour prendre des positions de marché dominantes. La France doit gérer ses finances publiques en bonne intelligence car c’est au fond l’argent des citoyens, et elle doit investir sur des infrastructures pour l’avenir, moins risquées et moins rentables à court terme. Ce n’est pas à l’Etat Français de prendre des risques, c’est aux entrepreneurs, qui seront récompensés pour cela. Car oui, penser comme une start-up, c’est penser la croissance extrême, à n’importe quel prix, dans une fuite en avant qui mène à l’échec dans 90% des cas. Mais contrairement à une startup, si on rate, on ne peut pas recommencer la France ailleurs.
Non la France ne doit succomber à la dictature de l’innovation qui règne dans la Silicon Valley, qui se met à innover pour innover tant qu’il y a des gens pour investir dans une économie de bulle…Comme le dirait Peter Thiel dans «Where is the Future». «On voulait des voitures volantes, on a eu des réseaux de 140 caractères à la place». La France ne doit pas se penser et se piloter comme un jeu où l’on éclate des bonbons, ou un réseau social de photos ou de micro-messagerie.
“«La France, 5ème puissance mondiale et puissance nucléaire ne se pilote pas comme CandyCrush, Tinder ou Snapchat»
En revanche, la France se doit de penser le Progrès. Avec des valeurs issues des Lumières, elle doit éclairer le monde à nouveau en pensant le futur, et en mettant l’innovation et les start-up au service de ce futur, car «Innovation sans conscience n’est que ruine de l’âme».
Par exemple, la France en tant que Nation doit penser le futur par ses intellectuels éthiques scientifiques et industriels, définir des objectifs qualitatifs et quantitatifs pour l’avenir de l’humanité et favoriser l’innovation en ce sens, et sortir du «spray and pray» qui est de croire que l’on doive arroser et supporter toutes les innovations et prier pour voir celles qui évolueront en progrès.
Elle peut le faire par le pilotage se sa recherche publique vers ces objectifs, le pilotage se sa politique de financement de l’innovation via la Banque Publique d’Investissement et la Caisse des dépôts et Consignation et une politique ouverte de valorisation par les ses Sociétés d’Accélération du Transfert de Technologies. L’Etat peut le faire aussi avec le contexte juridique de la propriété intellectuelle pour autoriser tous les entrepreneurs sur le territoire à a accéder une licence gratuite sur les brevets non exploités détenus par l’Etat.
C’est peut-être même négocier au niveau mondial de renoncer à la brevetabilité du vivant ou des médicaments pour les pays plus pauvres,ou sur les énergies propres, dans une logique de progrès pour l’humanité contre la logique du capital. Un peu comme l‘a fait Elon Musk quand il a mis les brevets de Tesla dans le domaine public, ou bien l’accélérateur YCombinator dont j’ai parlé plus haut qui garantis avec son centre de recherche YCResearch que toutes les résultats issues de leurs travaux seront dans le domaine public.
Dans le même temps, La France, contrairement à la philosophie start-up, se doit de diriger le monde pour réfléchir aux gardes fous que l’innovation essaie de contourner poussé par sa logique de profit à court terme. C’est par exemple ce qu’ont fait des entrepreneurs et chercheurs de la Silicon Valley dans le mouvement OpenAI qui souhaitent financer l’équilibre des savoirs dans le domaine de l’intelligence artificielle, afin de garantir que celle ci ne parte pas à la dérive et devienne notre dernière invention. C’est le rôle d’une Nation éclairée comme la France de penser ces choses là au niveau mondial. Pas de penser comme une start-up d’accepter toute innovation quelque soit son impact sur le monde, sous le seul prétexte que c’est de l’innovation, sans que l’on sache dans quelle direction aller. Car comme le dit le proverbe chinois «Il n’ y a de bon vent qu’à celui qui sait où il va».
Non la France ne doit pas céder comme les start-up à la datacratie galopante qui pense que l’on peut tout piloter avec des metrics d’acquisition, d’activation, de retention, de revenus et de recommandations, des statistiques et de la big data. Voire même succomber à ce qu’Eric Ries, l’auteur de Lean Startup, appelle les Vanity Metrics, ces indicateurs de succès qui n’en sont pas. Que l’on peut tout automatiser, dans une martingale vertueuse ce création de valeur et illimitée. Non, la donnée n’est qu’une représentation de la réalité car elle souffre toujours de biais statistiques et de collecte. Comme le dit Jacky Fayolle administrateur de l’Insee, «Lorsque les indicateurs sont utilisés sur un mode fétichiste, déconnectés du système d’information dont ils sont issus, ils appauvrissent l’action publique plus qu’ils ne l’enrichissent, tout en offrant une évaluation facile, mais illusoire, des performances de ces actions».
Cathy O’Neil dans son livre Weapons of Maths Destruction: How Big Data Increases Inequality and Threatens Democracy(Armes de Destruction Mathématiques : comment les Données Massives Augmentent les Inégalités et Menacent la Démocratie) prend quant à elle l’exemple de la crise des subprimes où elle explique «qu’une formule peut être parfaitement inoffensive en théorie. Mais lorsqu’elle est employée à grande échelle et devient un standard national ou mondial, elle crée sa propre économie déformée et dystopique.» Derrière, ce ne sont pas des fonctionnalités d’application qui ne marchent plus, ce sont des gens expropriés et mis à la rue, des faillites financières de gens qui avaient investi leur retraite sur les marchés et qui n’ont plus rien… et de l’argent public par centaines de milliards de tous les citoyens qui vient renflouer les banques. 
A l’´échelle d’une start-up qui recherche son modèle, il est facile de revenir en arrière dans le réel pour comprendre ce qui ne marche pas et de publier une nouvelle version du logiciel deux jours plus tard. Quand l’on parle de baser toute la société derrière la donnée, on prend le risque d’en diluer le sens, ce qui crée un risque systémique de décalage entre la réalité et sa représentation statistique ou algorithmique à une échelle ou l’on ne peut plus arrêter la Machine.

Non la France ne doit pas agir comme une start-up, elle doit garantir le long terme

Non, la France ne doit pas «Move fast and break things» , c’est-à-dire d’innover au risque de casser l’existant, comme disait Mark Zuckerberg lors des dix premières années de Facebook. La France doit garantir la cohésion nationale, en garantissant le progrès pour tous, sur le long terme et sans casser les acquis du progrès social, sa culture et son vivre ensemble qui sont un héritage du commun Français. D’ailleurs une fois une taille critique atteinte pour Facebook, Mark Zuckerberg a changé ce principe en «Move fast with stable infrastructure». Ce qui se rapproche plus d’une stratégie saine de développement rapide en respectant la stabilité de ce qui a été déjà construit avant, et qui approuve le fait de dire que Facebook n’était plus une start-up. La France elle non plus ne devant pas penser comme tel, doit elle aussi garder la stabilité de ses infrastructures, aussi rapidement qu’elle bouge.
Non, la France ne doit pas «Fuck it, ship it»idéologie qui promeut le fait de sortir les produits pas encore finis, pour les confronter au réel et apprendre de leur impact sur les clients et sur le marché. Comme le dit Reid Hoffman (encore lui), «si vous n’avez pas honte de votre produit quand vous le sortez, c’est que vous avez mis trop de temps à le sortir et que vous auriez plus le sortir bien plus tôt».
La France doit penser les réformes et les lois dans le respect des institutions, du débat et de la concertation dans l’exigence constitutionnelle et ne pas produire des lois ou n’importe quelle autre réforme ou infrastructure, sans penser à l’égalité de droit. Quand on gère 67 millions de personnes, d’une manière aussi avancée dans leur vie, on ne peut pas produire des lois, services publics, infrastructures sans les penser pour tous sur le long terme. On ne peut pas le faire sans les planifier sur des objectifs qualitatifs et quantitatifs de progrès, égalitaires et écologiques, juste pour les sortir et voir ce que ça donne, puis itérer ensuite. En d’autres mots: on ne construit pas des autoroutes ou des centrales nucléaires en mode «Fuck it ship it».
Non, la France ne doit pas «Ask for forgiveness, not for permission». Les actes de l’état français l’engagent devant l’Histoire. On peut le voir avec par exemple l’Allemagne qui n’a toujours pas le droit de détenir l’arme nucléaire ou le Japon qui ne peut pas consacrer plus de 1% de son PIB à son armée en représailles de leurs actions pendant la seconde guerre mondiale. On peut le voir aussi avec les conséquences de la colonisation qui restent des plaies ouvertes dans une grande partie de la population et un déshonneur Français dans l’Histoire du monde. Une start-up peut faire des erreurs morales, jouer avec les limites de la loi comme Uber et Airbnb pour faire bouger les lignes, mais un Etat a bien d’autres responsabilités d’un autre ordre devant le droit international et sur le cours de l’Histoire. Non la France ne doit pas/plus engager la nation pour l’avenir sans penser aux conséquences.
Non la France ne doit pas «fail fast, fail often»la France est un Etat Nation dont le modèle n’a pas le droit de casser, dans un pays avec 9 millions de pauvres, 4 millions de mal logés. D’ailleurs, la France ne peut pas économiquement entrer en faillite. La déroute économique, cela se résout à la fin par «l’hyperinflation ou la guerre» comme dirait Karl Marx. L’hyper inflation si on essaie de rembourser les dettes devenues in-remboursables, la guerre avec ses créanciers si l’on ne veut pas les rembourser et qu’ils viennent la réclamer par la force.
Et puis on ne peut pas recommencer la France avec une autre équipe et d’autres investisseurs. Il n’y a qu’un peuple de France, et un seul territoire de France.
Non la France ne doit pas comme une start-up segmenter ses offres selon les citoyens dans un rapport clivant, pour des citoyens qui pourront se permettre d’y souscrire et d’autres non. Elle doit au contraire traiter tout le territoire et tous ses administrés d’une manière inclusive, «égale avec les égaux, inégale avec les inégaux» pour compenser les différences de fait ou de nature, non pas pour les accentuer.
Non la France ne doit pas tout investir uniquement sur le solutionnisme technologique qui prône que l’on peut tout résoudre avec une application comme l’explique Evgeny Morozov dans sans livre «To save everything click here» ou Jaron Lanier dans son livre «Who owns the Future». Les choses sont plus complexes que cela quand on gère une nation. La France doit penser, comme Barack Obama devant des entrepreneurs de la Silicon Valley, que «La démocratie est par définition désordonnée et que si tout ce que je devais faire était de produire un widget (application Web ou mobile), sans m’inquiéter de savoir si les plus pauvres peuvent y accéder, ni me préoccuper d’éventuels dommages collatéraux, alors les recommandations des patrons de la Silicon Valley seraient formidables.»
Non la France ne doit pas créer des monopoles temporels comme dirait encore Peter Thiel dans son livre Zero to One, pour dégager plus de marge que ses concurrents (notamment Européens) pour continuer d’investir pour conserver ce monopole. La France doit penser la collaboration économique avec ses partenaires Européens, pour refonder une Europe politique qui va au delà de la doctrine de concurrence libre et non faussée qui met les pays en compétition fiscale et sociale. La France doit s’imposer en Europe dans une logique de coopération comme on a pu le voir avec les succès industriels que sont Airbus et Ariane espace. Il reste l’économie de la mer, le numérique et tant d’autres domaines sur lesquels coopérer au niveau Européen avec nos partenaires, pas non concurrents

La France doit être une infrastructure, penser et agir comme une infrastructure

Au lieu d’être une start-up et penser comme une start-up, La France doit devenir Etat entrepreneurial. Dans ce cadre, son rôle est un rôle de régulateur, d’assureur de dernier ressort et d’arbitre qui assure la liberté d’entreprendre, réduit le coût d’opportunité et le coût d’accès au marché à son minimum pour les entrepreneurs, aide au financement de l’innovation, soutient la recherche fondamentale, tout en protégeant ses industries stratégiques. Son rôle est de garantir la neutralité, l’équité, la transparence et la stabilité sur le marché pour créer un climat de confiance sain et permettre aux entrepreneurs d’innover. A ce titre, il s’agit concrètement de créer une infrastructure favorable à la création de valeur, avec un maximum d’externalités positives pour permettre l’émergence d’un écosystème fertile à la prise de risque. Mais ce n’est pas la France qui doit prendre des risques! Les entrepreneurs seront plus agiles pour identifier les besoins marchés et les construire expériences que les clients attendent. L’Etat s’occupe d’investir dans les infrastructures sur le long terme et de les mutualiser pour tous, à coût d’accès tendant vers zéro avec le nombre, permettant la diminution du coût d’opportunité à l’entreprenariat donc a la vraie égalité des chances.
Il s’agit donc de ne pas penser comme une start-up, mais de penser comme une infrastructure qui permet l’émergence de startups, en garantissant en tant qu’Etat la contrepartie du cadre législatif dans le sens du Progrès sur le long terme pour la société.
Un Etat, c’est tout le contraire de «move fast and break things», mais plutôt «move forward and don’t break»

«On n’arrête pas le progrès» ou la dictature de l’innovation

«Dans le discours d’Emmanuel Macron à Vivatech, le mot innovation est prononcé 25 fois, le mot progrès n’apparaît pas.»
Comme le dit souvent Etienne Klein dans ses conférences, il y a 5o ans, pour chaque innovation qui faisait avancer la société on disait «On n’arrête pas le progrès». Il y avait une vision bienveillante de l’innovation où l’on se disait que la technologie venait pour libérer l’homme et la femme de sa condition. Dans une société de l’innovation reine, cette expression prend une toute autre tournure. «On n’arrête pas le progrès» est aujourd’hui l’expression d’une dictature de l’innovation. La technologie est vue comme un monstre boulimique qui va venir menacer notre futur, prendre les emplois, consommer toujours plus ressources, sans garde-fous. C’est d’ailleurs les théories de la Singularity University à Mountain View, où l’on pense que la technologie va remplacer l’homme «en marche forcée» et le rendre obsolète.
Est-ce vraiment notre projet d’avenir?
«L’idée de progrès était une idée doublement consolante. D’abord, parce qu’en étayant l’espoir d’une amélioration future de nos conditions de vie, en faisant miroiter loin sur la ligne du temps un monde plus désirable, elle rendait l’histoire humainement supportable. Ensuite, parce qu’elle donnait un sens aux sacrifices qu’elle imposait : au nom d’une certaine idée de l’avenir, le genre humain était sommé de travailler à un progrès dont l’individu ne ferait pas lui-même forcément l’expérience, mais dont ses descendants pourraient profiter.»
En somme, croire au progrès, c’était accepter de sacrifier du présent personnel au nom d’une certaine idée, crédible et désirable, du futur collectif. Mais pour qu’un tel sacrifice ait un sens, il fallait un rattachement symbolique au monde et à son avenir. Est-ce parce qu’un tel rattachement fait aujourd’hui défaut que le mot progrès disparaît ou se recroqueville derrière le seul concept d’innovation, désormais à l’agenda de toutes les politiques de recherche?»
L’idée de progrès est à l’opposé de la philosophie startup qui s’exécute dans le court terme, dans une fuite en avant dictée par le dogme de l’innovation à tout prix au nom du marché, sans la remettre dans le contexte du désir d’avenir. Non toute innovation qui rencontre un marché n’est pas un progrès. Quelques exemples? Permettre de partager des photos qui s’effacent sur un réseau social n’est pas un progrès pour l’humanité. Payer pour choisir les caractéristiques génétiques de ses enfants, n’est pas un progrès pour l’humanité. Transplanter du sang de jeunes adultes pour essayer de faire rajeunir de riches hommes d’affaires n’est pas un progrès. 
Permettre de rencontrer des hommes et des femmes sur un simple mouvement de pouce sur son téléphone n’est pas un progrès pour l’humanité. A vous de juger par vous mêmes.
Pour toutes ces raisons, la France ne doit pas devenir une start-up, ni ne doit penser et agir comme une start-up. La France est une nation, un état, un peuple, une histoire, une culture qui doit s’extraire du pivot permanent, car elle est capable de penser l’avenir au nom d’une idée désirable pour laquelle son peuple est prêt à se sacrifier. Ces revirements de stratégie des startups qui ne savent pas où elles vont et quel est leur modèle en sont l’opposé. Le modèle Français est établi «Liberté, Égalité, Fraternité» et il a une vocation éternelle, car la France n’est pas et ne sera jamais une entreprise, c’est une République.
  • L’expert
Mehdi Medjaoui est entrepreneur, ingénieur et organisateur d'événements technologiques. Il est le cofondateur de Webshell et des conférences OAuth.io et APIdays.io. Il est en train d'écrire un livre intitulé «Man Versus Software: The Great Substituion».
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