Editeur, producteur, directeur de théâtre, cet être sensible
et très intelligent et cultivé, s'est éteint lundi matin des suites
d'une longue maladie. Un des très grands entrepreneurs pour la culture,
en France et en Belgique et un ami des comédiens, des metteurs en scène,
des écrivains.
Félix Ascot demeurera dans nos mémoires
comme un homme doux et malicieux, un esprit délié et délicat, un
entrepreneur d'une grande culture et d'une grande discrétion. Un honnête
homme qui, à un moment de sa vie tout en changements de caps, choisit
le théâtre et s'y consacra avec passion.
D'ailleurs, changement de caps ne convient pas. Car
une seule idée l'a toujours guidé : entreprendre et faire connaître, faire aimer.
Lorsqu'un grand homme comme Félix Ascot disparaît, c'est tout
un moment de la vie culturelle française qui s'estompe.
Sa famille et ses amis lui diront adieu
mercredi, à 14h30, au cimetière de Bagneux.
Félix Ascot était né le 8 juillet 1936,
à Paris, dans une famille ashkenaze établie depuis la fin du XIXème
siècle. Ascot est une abréviation d'Askolovitch et Claude Askolovitch,
le célèbre journaliste et essayiste, est son neveu.
Claude est le fils de Roger Askolovitch, le frère aîné, né en 1928.
Nous avons interrogé Claude Askolovitch, très touché par la disparition de son oncle.
Sa cousine Isabelle vient de lui communiquer un document : une carte
d'étudiant en journalisme du jeune Félix Ascot, année scolaire 56-57. "
Quand je pense qu'il ne m'en a jamais parlé !" regrettait tout à l'heure le neveu journaliste !
Félix Ascot était très discret, très amical avec ceux qu'il était appelé à côtoyer, en raison de ses fonctions.
Il avait été marié une première fois, avec une professeur des écoles,
maman de ses deux enfants, Isabelle et Maurice.
Depuis plusieurs dizaines d'années,
Simone Sobelman, femme lumineuse
partageait sa vie et l'a accompagné dans les moments les plus
douloureux des derniers temps, marqués par la maladie qui avait attaqué
il y a longtemps. .
Claude Askolovitch en témoigne, son père et
son frère étaient liés par une jeunesse heureuse ensemble, malgré
l'époque âpre, et une éducation forte.
Roger était l'aîné de huit ans de Félix, ce qui est beaucoup, mais ils avaient partagé beaucoup...Et il appelait "Doudou" son petit frère..
."Deux adultes qui se donnaient la main", se souvient le fils et neveu.
Ci-dessous, le théâtre où Félix Ascot put mettre en oeuvre une véritable philosophie du théâtre. DR.
Les deux frères eurent une éducation religieuse
et Félix, sans que l'on sut jamais la profondeur de sa foi, ou ses
doutes, respectait certains rites avec une discipline et une ferveur
profonde. Parlant de son père et de son oncle, Claude Askolovitch le
souligne :
"ils étaient très français et très juifs".
Il se souvient de Félix se rendant à
la synagogue de la Place des Vosges. Il se souvient qu'il marchait à pied et jeunait pour Kippour.
Roger Askolovitch est devenu écrivain ce qui aurait peut-être été le rêve de Félix.
Lui fit des études de
droit et d'économie politique.
Et donc de journalisme...Il était conseiller financier de Circuit A, le
grand rival de Publicis dans les cinémas des années 60...
Il produisit des films,
il fonda la maison d'édition Luneau-Ascot, mais c'est dans le théâtre qu'il trouva son épanouissement.
En 1978, il a des responsabilités à la Michodière : il n'est pas directeur, puisque la Société Yvonne Printemps existe toujours. Mais il est gérant et programme.
Ensuite, il est au
Saint-Georges (79-83), puis à la
Potinière (84-87). Mais c'est au
Théâtre Hébertot, dont il devient directeur en 1988, qu'il va donner sa pleine mesure.
Il persuade des metteurs en scène qui n'avaient jamais travaillé pour le secteur privé de signer des mises en scène :
Jacques Lassalle va monter Pirandello et Labiche, pour le plus grand bonheur des spectateurs.
Patrice Kerbrat, Gérard Desarthe, Gildas Bourdet, François Marthouret,
signent des mises en scène.Tant d'autres. Il faudrait un livre pour
raconter les enthousiasmes de Félix Ascot, ses engagements, et faire la
liste de tous les spectacles qu'il a montés.
Dès le Saint-Georges, il avait mis à l'affiche
Vitrac, (
Le Loup-Garou) ou
Carl Sterheim (La Culotte, interprétée par un Roland Dubillard survolté).
Il
a été aussi le premier du théâtre privé à produire des pièces de Thomas
Bernhard. Les années de sa direction sont heureuses, riches de
découvertes et de prises de risque.
Un moment,
il s'associe avec Pierre Franck, qui
dirige alors l'Atelier. Tous deux, qui sont deux esprits épris de haute
littérature, imaginent une sorte d'abonnement qui lie les deux
théâtres, Hébertot et l'Atelier. Et dans chaque production d'un des
théâtres, l'autre mettait une part (20% environ) de fonds.
Rien d'étonnant, quelques années plus tard, lorsque Félix Ascot préfèrera se retirer, que ce soit
Pierre Franck et sa femme Danièle, qui deviennent à leur tour directeurs d' Hébertot.
C'était en décembre 2002. La direction Franck débuta en janvier 2003.
Félix Ascot n'avait en rien renoncé au théâtre.
Il conseillait. Il était un spectateur fervent. Il voyait tout. Il
comprenait ce qui allait "marcher" ou pas. Mais jamais on ne l'aurait
pris en défaut d'arrogance ou de férocité.
Il avait l'oeil à la fois tendre et rieur. C'était un homme bon. Il n'était jamais caustique inutilement, ou blessant.
Avec
lui disparaît un directeur de théâtre d'une époque où les grandes
sociétés ne s'étaient pas encore jetées sur les salles parisiennes. Un
temps où les hommes, seuls parfois, entreprenaient par amour des
auteurs, des interprètes, des metteurs en scène et du public...