Pour son numéro de mars, le magazine
Wired avait choisi de mettre en couverture
Mark Zuckerberg bien amoché pour mettre en perspective les «
deux ans en enfer»
que vient de traverser Facebook. Finalement, ces deux dernières années,
marquées par les polémiques sur l’utilisation des données des membres
du réseau social sans leur consentement et surtout le rôle joué par la
plateforme dans l’ingérence russe lors de l’élection présidentielle
américaine, ne sont peut-être rien par rapport à ce que s’apprête à
vivre Mark Zuckerberg dans les prochains jours et les prochains mois.
Depuis quelques jours, Facebook doit ainsi affronter l’une des pires,
si ce n’est la pire, crises de son histoire en raison des révélations
du
Guardian et du
New York Times sur les agissements de la
société britannique Cambridge Analytica, spécialisée dans la
communication stratégique et l’analyse de données. Celle-ci, proche de
Donald Trump, est accusée d’avoir siphonné les données personnelles de
30 à 50 millions d’utilisateurs de Facebook, sur les 2 milliards que
compte le réseau social.
Des données au service de la campagne de Donald Trump
A partir des données personnelles des utilisateurs, collectées sans
leur consentement, l’entreprise se serait appuyée sur celle-ci afin de
concevoir un logiciel permettant de prédire et surtout d’influencer le
vote des électeurs. Le tout via une application proposée sur Facebook,
«thisisyourdigitallife», et développée par Aleksandr Kogan, un chercheur
de l’université de Cambridge. Il proposait aux utilisateurs du réseau
social d’être rémunérés pour répondre à un questionnaire destiné à
alimenter une étude académique. De cette manière, Cambridge Analytica a
pu engranger plusieurs informations personnelles sur les utilisateurs,
dont leur nom, leur âge, leur ville, leur profession, leurs likes ou
encore leurs contacts. Or ces données, pour une entreprise de
communication stratégique comme Cambridge Analytica, constituent une
mine d’or pour élaborer des campagnes publicitaires à caractère
politique sur Facebook.
L’histoire aurait pu s’arrêter là, sauf qu’elle rejoint l’élection
présidentielle américaine. En effet, la société britannique est en
partie financée par le milliardaire américain ultra-conservateur Robert
Mercer, un des généreux donateurs du Parti républicain aux États-Unis,
et a même été dirigée par Steve Bannon, ancien conseiller très proche de
Donald Trump qui a fortement contribué à sa victoire face à Hillary
Clinton en novembre 2016. Le
New York Times affirme que les
données récoltées par Cambridge Analytica ont été utilisées pour
aiguiller la campagne de Donald Trump, de manière à réaliser un meilleur
ciblage publicitaire sur les réseaux sociaux et à déterminer les
endroits où le magnat de l’immobilier devait se déplacer pour gagner des
voix.
Facebook silencieux face à un Congrès très remonté
Ce nouveau rebondissement a déclenché la colère du Congrès, devant
lequel Facebook s’est déjà exprimé en novembre dernier avec Google et
Twitter au sujet de la diffusion sur leurs plateformes de contenus et de
publicités financées par des entités russes pour influer la campagne
présidentielle américaine. Fin octobre 2017, Facebook avait dévoilé que
jusqu’à
126
millions d’utilisateurs américains du réseau social avaient pu voir
entre juin 2015 et août 2017 près de 80 000 publications politiques
mises en ligne par des comptes liés à la propagande russe. Ces
derniers ont également posté 120 000 publications sur Instagram, qui ont
été vues par 20 millions d’utilisateurs. Au total, ce sont donc 150
millions de personnes qui ont été touchées par la propagande russe sur
Facebook et Instagram.
A l’automne, seul le directeur juridique de Facebook s’était présenté
devant le Congrès. Avec ce nouveau scandale, la donne pourrait être
bien différente. En effet, des représentants des deux camps, dont la
sénatrice démocrate Amy Klobuchar et le sénateur républicain John
Kennedy, ont d’ores et déjà demandé à ce que Mark Zuckerberg vienne
s’expliquer directement devant le Congrès. De son côté, l’Information
Commissioner’s Office (ICO), l’autorité britannique de protection des
données personnelles, a indiqué qu’elle allait demandé un mandat pour
avoir l’autorisation de perquisitionner les locaux de Cambridge
Analytica. L’ICO a également demandé à Facebook de suspendre sa propre
enquête pour ne pas compromettre la sienne.
Pour l’heure, Facebook se montre pas très loquace face aux relations
de la presse anglo-saxonne. Ni Mark Zuckerberg, ni Sheryl Sandberg n’ont
pris la parole publiquement pour l’instant depuis le début de
l’affaire. Quelques heures avant la publication de l’enquête du
Guardian et du
New York Times,
Facebook a tout de même tenté de se prémunir : Paul Grewal, le
directeur juridique adjoint de Facebook, a annoncé que le réseau social
suspendait Cambridge Analytica de sa plateforme. Cependant, la firme
américaine est au courant de la méthode utilisée par l’entreprise
britannique depuis trois ans. En avril 2015, Facebook avait en effet
désactivé la fonctionnalité permettant de récupérer des données
personnelles grâce à une application tierce. Depuis cette décision, les
applications tierces ne peuvent plus avoir accès à la liste d’amis des
utilisateurs de manière automatique. En première ligne pour le moment,
Paul Grewal dirigera ce mardi, à 10 heures du matin (heure de Los
Angeles), une réunion d’urgence au siège de l’entreprise, à Menlo Park,
pour laisser les employés de Facebook poser des questions sur l’affaire,
selon
The Verge. Celle-ci ne devrait durer qu’une trentaine de
minutes. Mark Zuckerberg devrait prendre la parole ce vendredi lors de
la réunion hebdomadaire de la firme américaine.
Mark Zuckerberg convoqué à Londres
Hormis cette déclaration en amont de l’affaire et cette réunion
improvisée, seuls quelques cadres se sont exprimés sur leurs comptes
Twitter et Facebook pour faire part d’une utilisation anormale des
données des utilisateurs de Facebook. Parmi eux, Alex Stamos, le
responsable de la sécurité de Facebook, a publié
un long billet sur Facebook dans lequel il tente de répondre point par point aux accusations qui pèsent sur le réseau social. Selon le
New York Times,
Alex Stamos serait sur le départ, en raison de profonds désaccords avec
plusieurs dirigeants de l’entreprise, notamment Sheryl Sandberg, au
sujet de la communication de Facebook sur la désinformation et
l’ingérence russe. Sur
Twitter, l’intéressé a précisé que son «
rôle a changé» chez Facebook mais qu’il était «
toujours pleinement engagé dans son travail» au sein de la firme américaine.
Déjà sanctionné sur le plan économique, avec son action qui a chuté
de près de 7% ce lundi à Wall Street, soit une perte d’environ 30
milliards de dollars en quelques heures, Facebook doit aussi s’attendre à
des répercussions à l’échelle internationale. Déjà appelé à s’expliquer
devant le Congrès aux États-Unis, Mark Zuckerberg a également été
convoqué à Londres par une commission parlementaire britannique. Les
parlementaires britanniques attendent une réponse du patron de Facebook
d’ici lundi prochain. De son côté, Downing Street estime les premières
accusations révélées par la presse «
très préoccupantes». Dans le
sillage de la capitale anglaise, Bruxelles va également se saisir du
dossier en réunissant dès aujourd’hui les autorités chargées de la
protection des données dans l’Union européenne.