Si la French Tech a acquis une aura internationale, c'est à quelques grandes figures incontournables qu'elle le doit : Xavier Niel, Pierre Kosciusko-Morizet (PKM), Marc Simoncini, Jacques-Antoine Granjon et une poignée d'autres sont toujours un modèle et des financeurs actifs du monde numérique. Tous en dehors de Xavier Niel - « Dieu » comme l'appellent certains initiés -,qui est dans l'industrie des télécoms avec Free, ont réalisé de belles opérations financières dans le numérique, puis ont dans la foulée mis à profit leurs plus-values pour financer des jeunes pousses…
« Il y a quinze ans, j'ai cédé iFrance, un site d'hébergement sur Internet à Vivendi pour 182 millions d'euros. J'ai immédiatement réinvesti dans des start-up, notamment 1000mercis. Aujourd'hui, il manque des gens comme nous qui acceptent de financer les sociétés à leur démarrage, avant qu'elles ne soient rentables », relève Marc Simoncini. Le fondateur de Meetic a ramassé un autre pactole à la revente du site de rencontres. Ce qui lui a permis d'investir, via son fonds Jaïna, dans une centaine de start-up.
En tant que « business angel », Xavier Niel n'en reste moins le plus actif en France, avec 35 millions d'euros injectés depuis 2009, selon le classement réalisé par Fundme. L'engagement du patron de Free va plus loin que le soutien financier à des jeunes entrepreneurs. A côté de son investissement massif dans la Halle Freyssinet, un incubateur géant, il a aussi créé l'école 42. Avec Marc Simoncini et Jacques-Antoine Granjon, le fondateur de Vente-privee, ils ont aussi fondé l'Ecole européenne des métiers de l'Internet, pour s'assurer des promotions d'étudiants formés aux nouveaux métiers du numérique.

Rester connecté

A même pas quarante ans, PKM a mis en place une panoplie d'outils financiers pour aider les jeunes. Cofondateur avec un tiers du capital du fonds d'investissement Isai présent dans 120 entreprises liées à Internet et à la technologie, il aide aussi bien les jeunes pousses en phase de démarrage - comme le fut un temps BlaBlaCar -, que des sociétés plus confirmées « qui sont déjà rentables et ont besoin de faire quelque chose sur leur capital, ce qui demande un travail sur mesure ».
PKM a aussi fondé, avec un associé, Kernel, « qui investit dans tout ce qu'Isai ne fait pas ». Au total, une cinquantaine d'entreprises parmi lesquelles Yellow Corner, spécialiste de la photo d'art à prix accessible, ou PeopleDoc, expert de la dématérialisation dans le secteur RH, « créé à partir d'une idée que j'avais soufflée à un de mes étudiants à HEC », raconte PKM. « J'ai envie que mon argent soit utile. Quand on a connu la création d'entreprise, on a envie de revivre cela, on adore vivre les débuts d'une boîte, même si on le vit un peu par procuration », poursuit celui qui a touché le jackpot lors de la revente en 2010 au japonais Rakuten de PriceMinister, son site de vente en ligne qu'il avait créé à vingt-trois ans seulement. Mais, de son propre aveu, un danger guette : « On ne sait pas dire non et on se retrouve vite avec trop d'entreprises. » Investir dans des jeunes pousses, « cela nous permet de rester connectés et proches de ce qu'est le marché », observe pour sa part Marc Simoncini. Grâce à ces pionniers qui sont autant de « rôles modèles ». « Les jeunes entrepreneurs se disent qu'on peut être ambitieux car eux l'ont été et ils savent qu'ils peuvent conquérir le monde. Cela envoie des messages ultrapositifs », se félicite-t-on dans l'entourage d'Axelle Lemaire, la secrétaire d'Etat chargée du Numérique. Tout en jugeant que la prise de risque n'est pas encore aussi intense qu'elle pourrait l'être : « En France, on manque de business angels et de capitaux privés pour les tours de tables importants. Néanmoins, bpifrance a déjà fait un travail incroyable. »

Un accès au capital facilité

En quelques années, Nicolas Dufourcq, le patron de bpifrance, ainsi que Paul-François Fournier, directeur exécutif innovation - deux anciens d'Orange - sont devenus indispensables dans le processus d'amorçage. L'an dernier, bpifrance a injecté 1,3 milliard d'euros dans l'innovation (soit près du double de 2013), intervenant dans 2.900 jeunes sociétés. « En règle générale, nous mettons des tickets plus élevés que les fonds privés. De plus, nous avons l'ambition de les accompagner à l'international », précise Paul-François Fournier.
Dans la sphère privée aussi, quelques financiers à la tête de grands fonds font la pluie et le beau temps dans la French Tech. Jean-Marc Patouillaud et Philippe Collombel chez Partech, Benoît Grossmann chez IDInvest, Guillaume Aubin chez Alven et même Mingpo Cai à la tête du fonds chinois Cathay Capital… Dans le paysage de la tech française depuis des années, Jean-Marc Patouillaud, ancien de Supélec et d'HEC, enchaîne les deals avec succès : « En France, il n'y a pas de marché de l'IPO, contrairement aux Etats-Unis. Mais l'accès au capital pour les start-up françaises n'est pas un problème. » Très regardant sur les secteurs dans lesquels il investit - il n'ira pas dans les sciences de la vie ou la greentech par exemple - et exigeant sur la qualité du management, il aide les jeunes pousses à fructifier. « Les dix dernières sorties réalisées par Partech l'ont toutes été auprès d'acteurs américains, plus riches que les autres, et donc capables de payer plus cher pour des activités plus stratégiques pour eux car elles leur permettent de mettre un pied en Europe. » Selon Paul-François Fournier, la majorité des start-up françaises sont toutefois rachetées par des groupes tricolores.