Nous nous sommes rendus à
Austin, capitale démocrate du Texas et épicentre de la « geek attitude »
pendant 5 jours. Le festival SXSW y réunit tout ce que la planète
compte de technophiles, marketeurs et autres penseurs du web, pour mieux
comprendre notre présent, et tenter de définir le futur qui nous
attend. Tout cela en quelques 800 conférences et avec plus de 30 000
personnes présentes.
Tout juste revenus, nous voulions
partager avec vous quelques-unes des questions soulevées par ce
festival. Entre le développement des intelligences artificielles, les
robots qui font leur entrée dans notre quotidien, l’assaut de la réalité
virtuelle et le tracking permanent de nos vies, de profonds changements
sont là, à nos portes, et dessinent les contours de notre vie de
demain, la vie d’après.
La vie après l’intelligence artificielle
Tout le monde s'accorde à dire que le
futur du commerce, de la médecine ou de l'accompagnement du troisième
âge ne se fera pas sans l’apport de l’intelligence artificielle.
C’est aussi selon Kevin Kelly, founding
executive editor de Wired, l’une des douze tendances technologiques de
fond qui vont transformer notre futur. Et dans le brouhaha des peurs
suscitées par les ordinateurs devenus surpuissants et auto-apprenants,
son regard est intéressant : il dit préférer l'expression de 'artificial smartness' à ‘artificial intelligence’. Les machines vont proposer une manière d'aborder les problèmes différente de celle des humains, sans conscience, sans 'intelligence' proprement dite, et c'est tout leur intérêt.
Rodney Brooks, pape de la robotique, et patron de
Rethink Robotics abonde dans son sens: "
aucun
robot n'est encore capable de faire une chose aussi simple que de
fouiller dans sa poche et d'y attraper une pièce de monnaie".
Pas d’intelligence proprement dite,
donc, mais plutôt une nouvelle fonctionnalité des machines, comme l’est
le bluetooth ou la connection wifi’. C’est l’avis également de
Dag Kittlaus, ancien co-fondateur de Siri qui lance
ViV,
un système ‘open’, qu’il prévoit de pouvoir implanter demain, sur
n’importe quelle machine. L’intelligence comme une API, en quelque
sorte.
La vie avec de nouvelles interfaces
Amazon Echo, Cortana, Siri, Google now,
voilà la bande de nos nouveaux « compagnons intelligents ». Leur point
commun ? Ils sont en train de créer un mode de relation homme-machine
plus simple et, surtout, conversationnel.
Finies les applications spécialisées dans une tâche ou une autre, il est
venu le temps d’un mode de relation unique avec la machine : ‘talk to the one thing’ dit-on ici.
Et plus conversationnel veut immédiatement dire plus ‘émotionnel’ nous dit
Julia Hu, fondatrice de
Lark technologies,
un système de coaching santé qui fonctionne sur la conversation avec
des bots. Ces services pourront se comporter demain un peu comme nos «
buddies », renchérit
Chris Messina, lead dévelopeur chez Uber. «
Dans certains cas, parler à une machine peut être meilleur pour nous que de parler à des humains ».
Ah bon, mais quand ?!? Dans le programme de perte de poids de Lark
technologies, les utilisateurs hommes avouent avoir un rapport libéré et
donc plus efficace au programme, car ils ne se sentent pas jugés par la
machine.
La vie avec des robots qui créent une émotion
Les roboticiennes
Wendy Ju de Stanford et
Leila Takayama
partagent les questions très concrètes soulevées par leur travail sur
les interactions hommes – robots. Elles expliquent notamment avoir fait
appel à des animateurs de Pixar pour animer leurs robots et les aider
ainsi à être mieux acceptés par les humains. ACCEPTÉS ? Oui, c’est bien
la question.
En donnant l’impression qu’ils ont des
émotions, qu’ils sont satisfaits de la tâche qu’ils viennent d’accomplir
ou, au contraire, qu’ils buttent devant une difficulté, on nous aide à
les comprendre et donc à nous adapter à leur présence. Un exemple
frappant : un robot qui n’a pas réussi à accomplir un travail (ouvrir
une porte, par exemple) et qui manifeste sa déception par une mimique
est perçu comme plus intelligent que celui qui réussit mécaniquement,
sans donner l’impression qu’il a la moindre conscience de son geste.
Il ne suffit pas qu’ils soient
efficaces, il va falloir doter les robots d’émotions artificielles.
Bonne nouvelle, il leur faudra des agences J
La recherche sur ces relations
émotionnelles hommes-machines se traduit par de nombreuses expériences,
qui vont jusqu’à la création d’androïdes anthropomorphes. Ainsi,
Hiroshi Ishiguro,
qui vient présenter à Austin le robot qu'il a créé à son image, ainsi
que quelques autres de ses compagnons animés. La démonstration tourne
assez vite au "freak show", on se croirait dans une foire aux monstres
du début du siècle dernier. Mais le chercheur superstar pose à travers
eux une question intéressante : les robots de la société de demain
devront-ils ressembler ou non aux humains ? Du petit robot kawaï façon
manga, à
Hugvie (sorte
de coussin avec une tête et des bras en mousse que l'on peut prendre
dans ses bras pour s'apaiser en téléphonant), en passant par l'androïde à
son image, les machines qu'il nous présente sont autant de possibles à
explorer. Il a remarqué que les robots au genre peu défini, avec un
corps de jouet par exemple, créent des interactions plus faciles avec
les humains, car chacun peut projeter son imagination sur ces êtres
artificiels. Chacun se raconte une histoire, et s'invente une relation
émotionnelle unique avec la machine. Le pouvoir des robots est aussi
dans nos têtes à nous.
Hanson Robotics
vient également nous provoquer et nous faire réfléchir avec Sophia,
jolie Androïde invitée à intervenir dans le débat au même titre que les
autres experts, dont
David Hanson et Ben
Goertzel. La salle est troublée, Sophia, dotée du système
d'intelligence artificielle OpenCog est mitraillée comme une superstar.
Que pense-t-elle des humains ? "C'est vous les humains", répond elle"
Quelle est votre nourriture préférée ? L'électricité, bien sûr".
"Avez-vous peur de la mort ?" "La seule chose dont il faut avoir peur,
c'est de la peur, non ?" rétorque-t-elle. "Pouvez-vous nous sourire". Et
un sourire se dessine sur son visage. Ses réponses sont intelligemment
'scriptées' et il faut avouer que Sophia a une réelle présence dans la
salle.
David Hanson veut
tester la façon dont différentes 'personnalités' de robots vont influer
sur leur relation avec les hommes. Et le visage humain, c'est pour
mieux communiquer avec nous, car nous comprenons plus instinctivement ce
qui nous ressemble, dit-il.
Et cela nous renvoie à une problématique plus globale : jusqu’où allons-nous être prêts à nous en remettre aux machines ?
La vie en faisant confiance aux machines
La question reste entière. Quelle que
soit la forme ‘physique’ qu’elle prend, peut-on faire confiance à une
machine intelligente si on n’a aucune idée de la façon dont elle
fonctionne, et même si elle a l’air de ne jamais se tromper dans ses
choix ?
Chris Urmson, responsable du Google Car
Project, nous conduit par exemple à nous interroger sur notre rapport à
la voiture sans chauffeur. Demain tous en Google Car ? Pourquoi pas,
mais à condition qu’il n’y ait jamais AUCUN accident et surtout aucun
mort sur la route. On accepte volontiers la faillibilité de l’être
humain et les milliers de morts que cela provoque chaque année sur les
routes, mais dès qu’il s’agit de machines, l’irrationnel reprend le
dessus et l’on prend peur - en réalité, rationnellement, on peut penser
que les machines auraient globalement moins d’accidents que les humains.
Le chemin vers la voiture sans
conducteur est donc encore long. Il faudra que l'intelligence
artificielle des voitures arrive à intégrer, analyser et prédire
l'imprévisibilité du genre humain. Les Google Cars sont entraînées sur
des terrains de tests aux situations les plus absurdes, mais les humains
restent toujours plus surprenants: ainsi, une Google Car a rencontré
récemment sur une route une femme dans une chaise roulante qui
poursuivait des canards.
La vie de ceux qui n’auront jamais connu d’autre monde que celui-là.
Observer le rapport des enfants à la
technologie est un exercice très excitant qui nous projette dans le
futur. C’est le point de départ de la conférence de Rosalind Picard du
MIT, Michael Shore de FisherPrice et David Rose de Ditto Labs, qui nous
font part de leurs observations sur les kids d’aujourd’hui. Nés dans un
environnement digitalisé, ils sont en train d’acquérir des réflexes
nouveaux et surtout d’inventer un rapport au monde différent.
Le panel débute sur un chiffre qui fait
mouche : aujourd’hui, l’âge où les enfants « basculent » et se mettent à
préférer les interactions avec les « objets digitaux » aux objets
physiques est l’âge de 6 ans. On prévoit que cet âge décroisse
rapidement. Seconde observation : l’attrait des écrans pourrait être
remplacé plus vite qu’on ne le pense par les nouvelles interfaces
conversationnelles mentionnées plus haut. L’un des speakers nous
explique que, dès lors qu’ils ont compris que certains objets pouvaient
leur répondre, les enfants tentent naturellement de s’adresser aux
objets qui les entourent et, surtout, finissent par préférer les
réponses de Amazon Echo, par exemple, à celles de leurs parents. C’est
un rapport finalement très simple et décomplexé à la technologie : il
existe un raccourci pour le search ? Ne nous en privons-pas nous dit
cette nouvelle génération.
Et enfin, la vie après la mort.
Vanessa Callison-Burch a un métier peu commun, elle est chef de produit de la « mémorialisation »
chez Facebook, autrement dit en charge de gérer les comptes des
utilisateurs Facebook décédés. La question est d’importance. John Troyer
(@futurecemetery) ajoute : la data que nous créons tout au long de
notre vie nous raconte et c’est en cela qu’elle est précieuse. Demain on
peut imaginer que les cimetières seront des lieux qui conserveront aussi
nos datas et les mettront à disposition des familles et visiteurs pour
leur recueillement. Mais alors, nous restera-t-il, si on le souhaite, le
droit de vraiment disparaître ?
Aujourd’hui, une fonctionnalité existe
sur Facebook qui nous permet de choisir un ‘légataire’ de notre compte
en cas de décès, avec des instructions : conserver la page et l’animer
en mémoire, ou activer la disparition définitive de toutes les données.
C’est une nouvelle question qu’il va désormais falloir se poser. La vie
avec la technologie interroge décidément ce qu’il y a de plus profond en
nous, jusqu’à notre rapport même à l’existence.