La formule vertueuse, selon laquelle "chacun apprend de l’autre", semble enfin arriver jusqu’aux neurones des patrons qu’il s’agisse des groupes du Cac 40 ou des jeunes pousses, tel est le principal enseignement de l’étude « David avec Goliath »
(*). Pour les premiers c’est le moyen de gagner en réactivité et en
compétitivité pour les seconds c’est l’opportunité de garantir leur
pérennité et de voir se développer "leur" idée. En effet, tout en
contribuant à améliorer la connaissance par les grands groupes des
transformations de l’écosystème, ces alliances constituent ainsi une
parade au fameux « tunnel de la mort » qui voit disparaître près de 50%
des entreprises françaises au cours de leurs 5 premières années, coûtant
cher au pays en termes d’emplois, de croissance et de progrès.
Menée par
Bain & Company, cabinet conseil en stratégie,
Raise , fonds d’investissement dans l’économie des
start-up avec la collaboration de la
Chaire Entreprenariat de l’ESCP Europe,
la 2ème édition de cette étude révèle une véritable effervescence
depuis 2 à 3 ans autour de ces partenariats. De quels types sont ou
doivent-être ces derniers? Avec quels moyens? Pour quels objectifs
poursuivis? Et quels impacts obtenus? sont les thèmes abordés par cette
enquête. Mais aussi quels leviers à actionner pour les optimiser, pour
accélérer le mouvement qui doit être plus homogène et aider la France à
combler son retard et enfin investir pour de bon ce nouveau modèle
économique.
Des forces en pleines effervescence…
Que ce soit en tant qu’ « incubateurs »,
« investisseurs », « parrains », « partenaires »… la moitié de ces
rôles n’étaient pas tenus par les groupes du CAC 40, il y a 3 à 5 ans.
Désormais, ils se sont tous engagés (hors relations classiques
client/fournisseur ou prise de participation) auprès de start-up,
alors que ce n’était le cas que pour moins d’un tiers d’entre eux en
2010. Et c’est encourageant dans la mesure où une relation avec une
grande entreprise impacte positivement la croissance d’une jeune
entreprise dans 93% des cas. « La rapidité et la passion avec lesquelles nos interlocuteurs nous ont répondu confirme notre intuition », commentent Clara Gaymard et Gonzague de Blignières, cofondateurs de RAISE et co-auteurs de l’étude «
l’ignorance, voire la méfiance réciproque souvent évoquées entre les «
David » et les « Goliath » de France se dissipent au profit d’une
curiosité grandissante et d’un désir constructif d’apprendre l’un de
l’autre ». Dans ce contexte, deux autres bonnes nouvelles s’ajoutent. D’abord, ce mouvement bénéficie d’un terreau favorable avec des Goliaths surreprésentés et des David qui ne manquent pas, comme le souligne l’enquête. Avec 8% des entreprises leaders
mondiaux qui sont françaises, alors que la France contribue à hauteur
de 4% du PIB mondial. Et un nombre moyen de création d’entreprises
estimé à 320 000 par an sur les 5 dernières années. Rapporté au stock
d’entreprises existantes, cela fait un taux de 9%, ce qui situe la
France au niveau de la moyenne européenne ou des Etats-Unis. Ensuite,
contrairement aux idées reçues, les jeunes entreprises impliquées ne
viennent pas uniquement du monde numérique mais représentent un large
éventail de secteurs d’activités.
De plus, de la prise de participation
directe dans le capital à la mise en place d’incubateurs, du
développement de politiques de mécénat au lancement de diverses
initiatives RH, les différents types d’alliance instaurés servent des
objectifs multiples. Pour la grande entreprise, il peut par exemple
s’agir de business développement, de veille technologique, de
transformation culturelle, de communication, d’investissement ou
d’impact sociétal. Pour la jeune entreprise, ces partenariats peuvent
faciliter un gain de notoriété ou l’accès au financement et à de
nouveaux marchés. « Bien plus qu’une mode, ces pratiques illustrent
l’émergence d’un nouveau modèle de gestion. Autrement dit, la
problématique de l’entrepreneuriat n’est plus réservée aux start-up
uniquement. Les grandes entreprises souhaitent rejoindre des communautés
où managers et entrepreneurs travaillent ensemble. Cela passe par de
nouvelles formations, de nouveaux espaces de travail où le dirigeant
prend la posture de l’entrepreneur et où l’entrepreneur rentre dans le
monde du cadre dirigeant», explique Sylvain Bureau, Directeur de la Chaire Entrepreneuriat d’ESCP Europe.
… des faiblesses mais un potentiel d’amélioration…
Pourtant -et c’est le premier point un
peu mitigé relevé par l’étude- il y a une grande hétérogénéité dans les
niveaux de motivation et d’engagement, ce qui fait perdre du temps et de
l’efficacité au marché français. Ainsi avec 93% des grands groupes qui
se consacrent aux prix/événements, 70% aux fondations/mécénats et 59%
au venture capital, le podium traduit d’abord une forte quête
de notoriété. Et montre bien des degrés de maturité différents dans les
initiatives des grandes entreprises ciblant les jeunes pousses. Classées
en trois ordres « Attentiste », « Exploratrice », Experte », seule
cette dernière catégorie -soit 15% des entreprises interrogées- adopte
ainsi vis-à-vis de leurs partenariats avec les jeunes entreprises une
approche structurée ou complète inscrite dans leur propre stratégie
d’entreprise, avec des objectifs définis et des outils de suivi grâce
auxquels elles les accompagnent dans l’ensemble des phases de leur
développement. De ce fait, l’écosystème est encore loin de son plein
potentiel, ce que confirme l’analyse du niveau de satisfaction des
jeunes entreprises vis-à-vis de ces alliances : très hétérogène, lui
aussi, et peu élevé en moyenne, ce dernier met ainsi souvent en cause le
déséquilibre perçu dans le partenariat en faveur du grand groupe (38%),
la lenteur (36%) ainis que le manque d’implication (8%) du « Goliath », l’importance de l’investissement requis pour « David » (32%) et la différence de culture (11%). Résultat, à la question : "Recommanderiez-vous à une autre jeune entreprise de faire alliance avec une grande entreprise ?",
seulement 21% d’entre eux sont prescripteurs, 42% restent neutres et
31% sont plus ou moins détracteurs. Des chiffres qui démontrent qu’il y a
un fort potentiel d’amélioration.
Deuxième point négatif : les grandes
entreprises françaises sont largement dépassées par leurs homologues
américains dans leurs démarches de coopération avec les jeunes
entreprises. Ainsi, sur les 40 plus grandes capitalisations boursières
des deux pays, le nombre d’entreprises qui ont des fonds de Corporate Ventures en propre est deux fois supérieur aux États-Unis qu’en France. En outre, les montants d’investissements des Corporate Ventures
sont 24 fois plus élevés aux États-Unis qu’en France (6,9 milliards
contre 290 millions d’euros en 2015) pour un PIB seulement 6 fois
supérieur. De même, beaucoup de ces grands groupes américains
accompagnent aussi leur « bébé » à l’internationalisation. Ce qui est
loin d’être le cas en France. Le chemin est donc encore long mais il
faut l’emprunter sans plus d’hésitation car le développement de
partenariats mutuellement bénéfiques entre grandes et jeunes entreprises
pourrait contribuer à rattraper le retard français en matière de
croissance des jeunes entreprises : à l’heure actuelle, seulement 5% des
entreprises françaises ont plus de 10 salariés, contre 21% aux
États-Unis. « Cette coopération est la voie de l’avenir », confirme Olivier Marchal, président de BAIN & COMPANY «
à l’heure où il devient urgent de rattraper le retard français. C’est
le sens de notre étude David avec Goliath, qui a pour ambition d’aider
jeunes et grandes entreprises à mieux se comprendre et de favoriser la
multiplication de ces collaborations qui constituent un outil majeur de
création d’emplois ».
… 4 leviers à actionner autour du maître mot : confiance
Néanmoins, les clés de la mise en œuvre d’alliances fructueuses sont nombreuses. De nombreux exemples démontrent des impacts business
concrets pour les deux parties : accélération du développement pour la
jeune entreprise, développement plus rapide de nouveaux produits et
services à moindre coût pour la grande entreprise. Seuls outils pour
bâtir ces partenariats sucessfull ? La confiance réciproque -on
y revient toujours!- et le respect des intérêts économiques de chacun.
Deux atouts très réalistes garants du gagnant/gagnant et des fondations
équilibrées. Aux grandes entreprises d’adapter leur approche aux
spécificités des jeunes entreprises, en les laissant par exemple
bénéficier de procédures plus légères et en favorisant leur autonomie.
Aux jeunes entreprises de comprendre les contraintes des grands groupes,
tels qu’une moindre facilité à s’adapter en temps réel, des rythmes
plus longs et l’importance du respect des procédures. « Il est fondamental que la grande entreprise ne profite pas d’un rapport de force qui est en sa faveur », insistent les 3 co-auteurs « De
même, pour les jeunes entreprises, il est important de comprendre que
la taille de la grande entreprise ne diminue pas les contraintes sur les
investissements ou les ressources. Il ne faut pas être naïf : il n’y a
pas de cadeaux à espérer. Certains aspects du partenariat, comme la
propriété intellectuelle, méritent d’être considérés en profondeur (avec
la nécessité pour les deux partenaires de protéger leurs actifs
intellectuels), tout en gardant agilité et rapidité ».
Une réflexion qui s’appuie sur les 6
ateliers de réflexion qui ont également étayé l’étude. Organisés pendant
2 jours en février, ils ont réuni 20 cadres dirigeants de grandes
entreprises et 40 représentants des jeunes entreprises autour de
thématiques transversales et complémentaires des relations entre
grandes et jeunes entreprises : financement et accompagnement,
ressources humaines et culture d’entreprise, innovation et R&D,
partenariats commerciaux, nouveaux modèles d’entreprises et opportunités
et limites de la disruption. Fondés sur le bilan des expériences des
participants, ces échanges ont permis de définir 81 recommandations
destinées aux grandes entreprises, aux jeunes entreprises et aux
pouvoirs publics. S’il n’existe pas de « recette magique » applicable à
tous les modèles, quelques facteurs clés de succès se dégagent ainsi
autour de 4 axes majeurs pour chacune des parties.
Pour les grandes entreprises il leur faut :
- l’adoption d’une approche stratégique à long terme (au moins 10 ans voire plus)
- la définition d’objectifs précis et la
mise en place d’outils de suivi (c'est-à-dire entrer dans l’âge du
faire avec des partenaires adaptés et des indicateurs de succès
pertinents)
- une gouvernance lisible et efficace et
la constitution d’une communauté de start-ups championnes (avec un
leadership impliqué dans la durée, des équipes disposant d’un fort
niveau d’indépendance, d’autorité ou même d’une responsabilité sur le
compte de résultat et proche avec les opérationnels pour accompagner au
mieux le parcours des jeunes entreprises via un bon calendrier et une «
contagion » positive)
- la création de structures dédiées
favorisant une approche adaptée de gestion du risque et de l’innovation
(l’encouragement de la prise de risque par les équipes, la
multiplication des expérimentations, une externalisation éventuelle des
équipes internes, la prise en compte de son propre niveau de maturité).
Pour les start-up, il leur faut :
- la réflexion en amont : la
clarification des objectifs poursuivis dans les alliances avec les
grandes entreprises est souvent menée de façon imparfaite ou trop
opportuniste. La jeune entreprise doit déterminer le type de partenaire
recherché et le mode de partenariat à privilégier
- la bonne préparation : clarifier en
amont un certain nombre de dimensions permet de maximiser les chances
d’un premier contact et d’un partenariat réussis : utilisation de
références, compréhension des aspects administratifs, juridiques et
financiers, ciblage des bons interlocuteurs, compréhension de leurs
besoins et de ceux de l’entreprise, adaptation du discours en
conséquence
- des attentes réalistes: il est
important de se fixer les limites à ne pas dépasser. Cela passe par
l’estimation réaliste des ressources nécessaires pour mener à bien le
partenariat d’un côté et des gains potentiels de l’autre. Il peut
s’agir, par exemple, d’un investissement endémarchage commercial ou de
l’adaptation de l’offre aux besoins spécifiques d’une grande entreprise.
Si l’investissement devient trop coûteux, il est important de savoir
s’arrêter
- une offre idéalement « must have » : les partenariats les plus réussis sont ceux où la jeune entreprise apporte une brique indispensable à la grande entreprise
… sans oublier l’implication nécessaire des pouvoirs publics
Enfin plusieurs conclusions de l’étude
insistent sur le fait que pour développer ces alliances et garantir des
règles du jeu simples et équitables, une implication des pouvoirs
publics et des autres acteurs de l’écosystème est nécessaire. Ceux-ci
sont principalement attendus sur la facilitation de la mise en relation
des jeunes et grandes entreprises françaises et internationales ainsi
que sur l’accès aux acteurs de l’enseignement, de la recherche et du
financement. Ils sont aussi invités à se concentrer sur la
stabilisation, voire la simplification du cadre fiscal, juridique et
réglementaire englobant les engagements des grandes entreprises
vis-à-vis de leurs partenaires. Surtout, la nature plus fragile des
jeunes entreprises rendant indispensable la protection de leurs droits,
les pouvoirs publics doivent garantir le respect de ce cadre. Une
ambition qui se doit d'être partagée, donc.
(*) composée d’entretiens auprès de 40
grandes entreprises françaises et groupes internationaux implantés en
France, d’un sondage mené par OpinionWay auprès d’un échantillon de 126
fondateurs ou dirigeants des jeunes entreprises qui ont eu ou qui ont
des relations partenariales avec les grandes entreprises, et de 15
entretiens approfondis avec les représentants de l’écosystème : jeunes
entreprises, fonds d’investissements, incubateurs et pouvoirs publics.
Photo de Une : Whiskas