Smartphone : l'art d'exploiter nos vulnérabilités psychologiques...
Sommes-nous gavés comme des oies
par les géants du web, capables de nous faire croire que nos choix de
consommation sont les nôtres et pas les leurs ? Pour un ancien de
Google, la réponse est oui. La raison ? Notre vulnérabilité
psychologique.
Il faut que l’Homme libre prenne quelque fois la liberté d’être esclave. Jules Renard
ne surfait pas sur le web, ne possédait pas de smartphone et ne vivait
pas dans un environnement numérisé. Pourtant, sa pensée vieille de plus
d’un siècle n’est aujourd’hui en rien anachronique : pour conserver
l’impression d’être libre dans un monde digital qui empilent ses données
dans des méga-serveurs kubrickiens, l’être humain de 2016 doit accepter
d’être le serf de ses applications mobiles.
L’asservissement est la condition sine qua non
d’un mode de vie connecté qui n’acceptera plus de marche arrière. Parce
que notre vulnérabilité psychologique est exploitable, abracadabra les
développeurs web se transforment en magicien. Et nos téléphones en
machines à sous de casino. Addictives. Dans une récente tribune publiée
sur Medium, la plate-forme créée par l’ancien co-fondateur de Twitter Evan Williams, un ancien éthicien et philosophe de… Google porte un regard anthropologique interpellant sur le nouvel opium du peuple : le smartphone.
Pendant des années, Tristan Harris,
magicien à ses heures perdues, a aidé le glouton de la Toile à
inventer et promouvoir des designs d’applications enracinant la pleine
conscience des utilisateurs dans les écrans de leur téléphone.
L’ambition ? Nous rendre accrocs, emprisonnés dans un rapport de
soumission que nous refusons d’admettre, ou que nous ne ressentons même
pas, à tort. De la même manière qu’un prestidigitateur peut influencer
l’action d’une personne sans même qu’elle agisse, un développeur web
peut exploiter les vulnérabilités psychologiques pour lui donner le
sentiment de faire des choix trop orientés pour être libres.
Le théorème du bol de soupe
« S’il veut maximiser l’addiction
d’un utilisateur de smartphone, tout ce qu’un designer technologique
doit faire est de relier l’action d’un utilisateur avec une récompense
variable. Vous tirez sur un levier et recevez immédiatement une
compensation séduisant, mais aussi possiblement rien du tout. Là où
l’addiction est la plus maximisée est quand le taux de récompense est le
plus variable. Plus les gens sont accrocs à leur smartphone, mieux
c’est pour le business. Mais il est de la responsabilité d’entreprises
comme Google et Apple de réduire ces effets nocifs en rendant la
récompense plus prédictives et moins addictives », écrit dans Medium Tristan Harris.
Pour appuyer son propos, l’ancien employé de Google cite une étude réalisée par le professeur de la prestigieuse université de Cornell, Brian Wansink. Intitulé Bottomless Bowl,
son travail expérimental démontre que même quand il n’a plus faim et
que son bol de soupe est vide, un consommateur en remangera si son bol a
été automatiquement re-rempli sans son assentiment. Le principe des
géants du web repose sur le même principe de gavage.
« Les flux de news sont
intentionnellement designés pour se remettre à jour pour vous donner
encore envie de scroller. Tout ce qui donnerait une raison de faire une
pause ou de quitter le site est intentionnellement éliminé du design.
C’est la raison pour laquelle les médias vidéo et sociaux comme Netflix,
You Tube ou Facebook pratiquent la lecture automatique de la prochaine
vidéo après un compte à rebours. Ils vous empêchent de faire un choix
conscient. Dans les chiffres d’audience, il est prouvé que la stratégie
marche », explique Tristan Harris.
En gros, une fois que vous savez comment
les gens appuient sur des boutons, vous pouvez jouer avec eux comme
avec les touches d’un piano. La métaphore n’est pas de nous, mais de Tristan Harris. Il conclut : «
Plus la technologie nous donne de choix dans quasi tous les domaines de
notre vie, plus nous partons du principe que notre téléphone constitue
le menu plus pratique et habilité sur lequel nous devons choisir. En
moyenne nous regardons nos téléphones 150 fois par jour. Pourquoi ?
Faisons-nous 150 choix conscients par jour ? »
Benjamin Adler
Benjamin
est le correspondant d’INfluencia aux Etats-Unis, à Los Angeles, depuis
octobre 2011. Diplômé de l’ESJ Paris et du CFPJ, il a également été
correspondant à Sydney et Bruxelles. Il est un témoin privilégié des
nouvelles tendances collaboratives et technologiques en couveuse.
Twitter : @BenjaminAdlerLA