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Management : quand la simplification mène à la stupidité http://www.influencia.net
La conversation
Publié le 24/01/2018
Il était une fois un paradoxe,
qui plus est, contemporain. Il traite des situations « absurdes » en
entreprises. La faute aux « simplifications » organisées par les
méthodes de management ? Pas seulement. Les britanniques André Spicer et
Mats Alvesson ont analysé les formes de stupidité induites en
entreprise dans un livre : « The stupidity paradox : Why smart people
don’t think at work ? ».http://www.influencia.net
C’est l’histoire d’un bon petit soldat,
qui, allant le matin au bureau devrait se poser plus de questions à
l’égard de son environnement au travail. Car le management modélise les
comportements : c’est l’effet de groupe et la contextualisation
vis-à-vis des responsabilités imparties. Toujours est-il que ce
management nous renvoie parfois à la question suivante : peut-on
s’éloigner de son génie ordinaire dès lors qu’on est au travail ?
André Spicer,
professeur britannique en comportement organisationnel aborde cinq
raisons qui, instituées, mènent à des situations de stupidité : le
leadership, la structure, la culture, l’imitation ou encore la stratégie
de marque. Un constat qui l’a conduit aux côtés de Mats Alvesson, à écrire, en 2016, un livre : «The stupidity paradox : Why smart people don’t think at work ? ». Un constat qui s’appuie sur plusieurs éléments invoqués longtemps avant par Michel Crozier, sociologue des organisations, dans son ouvrage, « L’analyse stratégique »
où il traite des relations de pouvoir en entreprise. Son diagnostic :
la situation managériale est le principal facteur de sottises.
Un type certain de crétinerie : la stupidité fonctionnelle
Un management crétinisant ? Les auteurs
britanniques s’en font l’écho à travers quelques explications : la
première est que nous vivons une époque où l’information est un sujet
avec lequel il devient difficile de traiter -ce n’est donc pas
qu’INfluencia qui vous le dit. L’environnement informationnel est
brouillardeux et il n’a jamais été autant question de le discerner.
Autre élément de réponse dans la phrase suivante : « Les
travailleurs intelligents ont vite appris à ne plus poser de questions
et à ne pas trop réfléchir car le fait d’utiliser leur intelligence
entraînait des questionnements délicats (...) ». On préfère par exemple donner la sensation d’une situation positive plutôt que de s’attaquer aux problèmes.
Au pays de cette stupidité, d’autres
points ont leur passeport. Parmi eux, la confiance excessive placée dans
l’image et le jargon. Dans le premier cas, c’est la part du symbolique
qui prend littéralement le pas sur la substance. Le « talking rubbish »
(ou le « parler réducteur ») traduit, quant à lui, la volonté de
simplification de la pensée, jusqu’à faire advenir des comportements du
même acabit.
« Soyez intelligents, faites l’imbécile »
« Généralement, il est normal de
penser que la stupidité est un problème, mais nous avons été surpris de
constater que parfois, elle peut être utile (d’où le paradoxe), du moins
à court terme », explique le professeur de comportement
organisationnel à la City. Oui, par moment, il fait sens d’être stupide,
pour créer de la cohésion par exemple. On a même envie d’ajouter que
c’est le fait de rire qui fidélise un groupe. Comme un goût de « reviens-y ». Enfin et de façon plus ennuyeuse cette fois, « ne pas réfléchir
» permet de simplifier les process et de se surprendre, dans un premier
temps, comme étant plus efficace. Alors, pourquoi s’en priver ?
Le « cercle de la stupidité » ou « l’économie de l’absurde »
c’est d’abord produire, élaborer et traiter des modèles qu’on ne
connait pas. Tel a été le cas à l’occasion de la dernière crise
boursière et de l’achat de « produits » que les banques n’ont
pas compris. Révélant un manque crucial de recul, de discernement dans
le feu de l’action. Tout en rebondissant sur le même constat de « conformité irréfléchie » émis par les auteurs britanniques et qui fait écho au célèbre « syndrome de l’autruche ». Viens maintenant l’appétit de se projeter.
Réinviter le temps long
Ça commence par changer le focus qui
pèse sur la culture de la remise en question : manque de confiance,
incertitude, perte de temps ... comme les prémisses d’une défaite. Non,
car notre bon petit soldat donne de l’épaisseur à ses tâches en doutant,
les contextualise, anticipe, se projette. C’est la meilleure façon
d’être critique, de raisonner sur ses tâches et de juger des
comportements qui l’entourent.
L’heure est maintenant à « l’agilité »,
qui sonne comme la permission officielle de douter. Continuellement.
Dans le commun des expressions, l’intelligence fait d’ailleurs la part
belle à l’agile : « l’intelligence, c’est l’adaptation ».
Développer les agilités collectives ? C’est le credo de la RSE :
réarticuler la réflexion sociale en économie. Relativement jeune, elle
prend le pas d’un management plus épais qui consiste, notamment à
privilégier un système d’organisation plus transversal. Moins rigide. Le
principe d’éthique s’invite aussi à cette table. En Angleterre, dans le
même esprit, on parle de « Thoughtrepreneurs » pour titulariser la « pensée » entrepreneuriale vers l’utilité sociale. Au cœur de cette nuance, on entend Ella Fitzgerald quand elle chantait : « The Best is yet to come ».
Augustin Lavagna
Journaliste
indépendant rattaché à la rédaction d'INfluencia. Après des études en
sociologie et sciences politiques à Sciences Po Bordeaux, il roule vers
la tradition de sociologie de l’imaginaire.
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