mercredi 11 novembre 2015

Lettre d’un poilu allemand à sa femme. Je ne redoute que la grande solitude intérieure.





Lettre d’un poilu allemand à sa femme
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Je ne redoute que la grande solitude intérieure.

La guerre de 1914-1918, dite la « Grande guerre », fut le premier conflit mondial dont l’horreur eut une résonance tant physique que morale. Cette lettre écrite de la main d’un poilu allemand dévoile le visage, non pas d’un ennemi, mais d’un homme à peine âgé de 25 ans qui face à l’isolement semble perdre tout espoir dans l’humanité.

14 octobre 1914
Ce qui m’oppresse de jour en jour d’avantage, c’est l’appréhension de l’abrutissement intérieur. Je suis très touché de ce que tu me souhaites une cotte de mailles impénétrable aux balles, mais je n’ai pas la moindre crainte des balles et des obus, je ne redoute que la grande solitude intérieure.
J’ai peur de perdre ma foi dans l’humanité, en moi-même, au bien qui existe dans le monde. C’est affreux ! Beaucoup, beaucoup plus dur que d’être exposé à toutes les intempéries, d’avoir à s’occuper soi-même de sa nourriture, de coucher dans une grange ; tout cela est peu de chose ; il m’est beaucoup plus dur de supporter la brutalité des gens entre eux.
On souffre certainement en voyant les blessés, les cadavres d’hommes et de chevaux qui gisent de tous côtés ; mais cette impression douloureuse n’est de longtemps pas aussi forte ni aussi durable qu’on se le figurait avant la guerre. Cela doit tenir en partie à ce qu’on se le figurait avant la guerre. Cela doit tenir en partie à ce qu’on se rend compte de son impuissance en face de tout cela, mais n’est-ce pas aussi que déjà on commence à devenir indifférent, à s’abrutir ?
Comment est-il possible que je souffre davantage de mon propre isolement que de la vue de tant d’autres souffrances ? Peux-tu me comprendre ? Que me sert d’être épargné par les balles et les obus, si je perds mon âme ?
Franz Blumenfeld (armée allemande)
( Jean-Pierre Guéno, Paroles de poilus : lettres et carnets du front 1914-1918, ed. E.I.L, 2012. )

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