mercredi 11 novembre 2015

Lettre d’un poilu à sa mère. C’est triste, car l’intellectuel s’enlise.



Lettre d’un poilu à sa mère
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C’est triste, car l’intellectuel s’enlise.

Lucien Durosoir, violoniste de réputation internationale et ami de Maurice Maréchal, a à peine 38 ans lorsqu’il écrit cette lettre à sa mère. Depuis deux ans la guerre sévit, animant le quotidien de tous jour après jour. Si les problèmes logistiques vécus depuis les tranchées semblent être difficilement supportables, sa missive dévoile le véritable ennemi du conflit mondial : « la perte de l’idéal et de la culture. »

1916
Chère mère,
Le poilu reçoit de la viande avariée, et dans la majorité des cas il faut la jeter. Que de dépenses bêtes ! Avec cela il crève de faim, car les légumes sont peu nombreux. Aussi les plaintes sont vives en ce moment. Des voitures frigo devraient arriver jusqu’à nos cuisines, mais cela ne se passe pas ainsi ; il y a deux ou trois manipulations au milieu de la poussière, des mouches et du soleil. Aussi, le résultat ne se fait pas attendre. Dire que l’on atteint un résultat pareil après deux ans de guerre, c’est un comble. Il n’y a rien à dire. Quant à la fin de la guerre, habituons-nous à l’idée qu’elle doit durer encore un an, c’est ma conviction profonde et intime, je ne te l’ai pas caché du reste à ma dernière permission. À moins d’événements imprévus, il faut ce délai pour réduire l’Allemagne, et la mettre à merci. Ils sont encore bien forts et quelques mois ne peuvent suffire, du moins c’est mon avis.
Je souhaite bien vivement qu’il en soit autrement, mais je ne l’espère guère. C’est triste, car l’intellectuel s’enlise, il sent qu’il perd sa culture, les gens médiocres qui nous entourent, leur raisonnements médiocres, leurs idées médiocres, tout est bien fait pour vous faire perdre l’idéal et la culture donnés par 15 ou 20 ans d’efforts. Et c’est l’impression de tous les intellectuels que je connais. Il faudra après cette guerre une grande énergie pour se débarrasser de toute cette crasse qui vous oppresse le cerveau.
[…]
Lucien.
( Jean-Pierre Guéno, Paroles de poilus : lettres et carnets du front 1914-1918, ed. E.I.L, 2012. )

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