Audience et influence : des chiffres, des lettres et un je-ne-sais-quoi
Publié le 17/04/2016 http://www.influencia.net/fr
Nous naviguons entre abstraction
et réalité lorsqu’il s’agit d’appréhender l’influence en tant que
telle. Rusons : analysons les représentations qu’on s’en fait, pour
tenter de « réfléchir » ce talent de l’acteur à produire ce flux, cette
infime force impensable, mais agissante…
Dans les mondes professionnels de la communication, la notion d’« influence
» tend à se traduire surtout par des chiffres, par d’élégantes
présentations graphiques, de schémas, de nombres compilés, d’algorithmes
et d’indices. Cette pratique contemporaine du chiffre fait proliférer
classements, indicateurs et autres calculs liés aux données massives (on
parle de big data). Et, plus généralement, elle s’appuie sur une
conception de l’autorité comme audience (un influenceur doit avoir un
public) et de la communication comme pouvoir (influencer, c’est faire
faire ou au moins, faire croire).
Des objets chiffrés séduisants et
efficaces, qui donnent l’impression de toucher du doigt la réalité du
phénomène social de l’influence. On sent bien qu’il se passe quelque
chose, qu’effectivement il y a « de l’influence » ; mais on perçoit aussi que le tour de la question n’est pas fait avec un nombre de followers, un indice de popularité comme Klout,
un ranking dans les résultats de recherche ou une cartographie. Au
contraire, la plupart des professionnels évaluant l’influence de marques
ou d’individus s’accordent à reconnaître que les calculs ne sont que
des approximations et que ces indicateurs n’épuisent pas un sujet plus
large et complexe. Mais notre esprit et notre époque sont ainsi faits
que les imaginaires de l’influence sont aujourd’hui dominés par des
schémas assez simples (des flèches pointant d’un pôle à un autre) et par
une valeur certaine accordée aux métriques.
Insaisissable influence
La notion d’influence en elle-même
permet de nommer, au quotidien, des situations bien réelles : elle va
notamment permettre de rendre compte de certaines de nos options – en
signalant par exemple la responsabilité d’un propos, d’un geste, d’une
opinion dans une action. Mais les mécanismes activés par l’influence
restent toujours frappés d’un certain mystère. La représentation
linéaire de l’influence (la « flèche » dans un schéma unidirectionnel
liant A à B) est souvent accompagnée d’une sorte de croyance : les « vrais influenceurs
» posséderaient un talent difficile à définir et à approcher
objectivement. Leurs propos et opinions relèveraient ainsi du charisme,
voire de la magie… À son apparition en français en 1240, l’influence,
c’était celle des astres sur les actions des hommes, une « sorte d’écoulement, de flux
». Une chose difficile à situer donc, qui serait insaisissable, entre
le matériel et l’immatériel. On retrouve la trace de ces conceptions
aujourd’hui dans la métaphore de la communication comme viralité («
mèmes », etc.). Le mot « influence » vient d’ailleurs de ce champ : la grippe, flu en anglais, influenza en italien, c’est l’influence du froid sur la santé…
Une simple questions de causes ?
L’influence, comme objet culturel et
social, semble donc correspondre à quelque chose de bien réel, mais que
l’on a toute la peine du monde à situer entre l’abstrait et le concret.
Du côté du concret, les choses seraient simples : de façon mécanique,
quand un mobile en frappe un autre, le second est bien forcé de bouger
sous l’effet du premier – à ce niveau, le monde ne peut être appréhender
qu’avec une certaine simplicité géométrique, causale. Tout n’y est
qu’affaire d’habitude – si un malabar me tape, avec sa force physique et
sa force d’inertie, c’est moi qui vais tomber – et de calcul, et la
représentation du monde physique d’Euclide à Newton
permet d’en rendre compte efficacement. Les sciences mécaniques sont
ainsi des modèles suffisants pour penser le mouvement des corps et leurs
interactions. Même la flu, la grippe, a fini par trouver son
explication et son causalisme, et lavons-nous bien les mains en
attendant le printemps...
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Etienne Candel
Maître
de conférence au CELSA, chercheur au GRIPIC et à l'ISCC (CNRS),
spécialiste de l'analyse des interfaces numériques et des mutations
contemporaines de la communication.
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