Comme le prévoyaient les sondages, le revenu de base n'a pas réussi à s'imposer auprès des citoyens suisses.  (Keystone)
Comme le prévoyaient les sondages, le revenu de base n'a pas réussi à s'imposer auprès des citoyens suisses.
(Keystone)

Votation du 5 juin http://www.swissinfo.ch


Le revenu de base ne trouve pas grâce auprès des Helvètes


Par Samuel Jaberg

 05. juin 2016 - 13:00

La Suisse ne deviendra pas le premier pays à verser un revenu de base inconditionnel à chacun de ses citoyens. Plus de trois quarts des votants ont en effet rejeté dimanche une initiative populaire émanant d’un groupe de citoyens. Les craintes quant à l’impossibilité de financer une telle mesure et à son impact dévalorisant sur le travail ont pesé lourd dans la balance.

Dans un pays allergique aux grandes ruptures sociales et intrinsèquement attaché à la valeur du travail, le revenu de base inconditionnel (RBI) n’avait pratiquement aucune chance d’obtenir le soutien de la majorité de la population et des cantons. La confirmation a eu lieu dès les premiers sondages - le texte n’a jamais conquis plus d’un quart de l’électorat - et le suspense n’a guère duré dimanche à l’heure du dépouillement.
Selon les premières tendances de l'institut gfs.bern, l'objet a été littéralement balayé dans les urnes. Seuls 22% des citoyens (marge d'erreur de +/- 3%) ont glissé un «oui» dans les urnes.


Mais pour les partisans du RBI, qui se recrutent aux quatre coins du globe, l’occasion était surtout belle de lancer le débat en Suisse au-travers de l’instrument phare de la démocratie directe, l’initiative populaire. Et force est de constater qu’ils ont brillé par leur créativité. La liste des événements spectaculaires mis en scène depuis près de trois ans par le comité d'initiative est impressionnante: huit millions de pièces de 5 centimes déversées devant le Palais fédéral, distribution gratuite de billets de 10 francs dans les gares, une affiche enregistrée dans le Guinness des records, etc.
Très présents sur les réseaux sociaux, les partisans du RBI ont également réussi à mobiliser les jeunes, nombreux à s'être intéressés pour la première fois à la chose publique. L'objectif est également atteint en ce qui concerne la visibilité de ce scrutin dans la presse nationale et internationale. Rarement une votation n’a en effet suscité autant d’intérêt à l’étranger: on le doit surtout au côté insolite et utopique de la mesure proposée mais également au fait que celle-ci commence à intéresser, à des degrés divers, d’autres pays et collectivités publiques autour du globe.

Non au changement de paradigme

Sur le fond, en revanche, les initiants n’ont jamais réussi à convaincre les citoyens de tenter une expérience qui aurait induit un changement de paradigme radical et la mise sur pied d'un nouveau contrat social. Aux yeux des promoteurs de l’initiative, accorder un revenu de base inconditionnel à chaque individu, de sa naissance à sa mort, aurait permis d’abolir la pauvreté et la dépendance à l’assistance sociale, mais également à chacun de choisir un emploi qui lui plaît, de stimuler la formation, la créativité et le volontariat, ainsi que de valoriser la garde des enfants et la prise en charge des proches âgés ou malades. Tout ceci dans un contexte marqué par l’automatisation et de la numérisation de l’économie, qui menacent de faire disparaître de nombreux postes de travail.
Des arguments balayés d’un revers de la main par les détracteurs du texte. Ceux-ci ont insisté sur l’impossibilité de financer un tel projet. Même si aucun montant n’a été articulé dans le texte de l’initiative, les promoteurs prenaient comme base de discussion une rente mensuelle de 2500 francs pour les adultes et de 625 francs pour les mineurs. Le RBI aurait ainsi coûté environ 35% du produit intérieur brut (PIB), un montant qualifié de «sidérant» par les opposants à l’initiative.
Emanant d’un groupe de citoyens indépendants, l’idée du RBI n’a par ailleurs jamais trouvé grâce au sein des partis politiques, excepté chez les Verts et au sein de l'extrême-gauche. Au Parlement, seule une poignée de représentants des partis de gauche ont voté en sa faveur. Toutes tendances politiques confondues, on reprochait notamment au RBI de remettre en cause l'entier du système de sécurité sociale suisse. «On ne peut pas faire table de tout ce qui existe pour un système dont personne ne sait concrètement comment il faudrait le mettre en place», a ainsi martelé à plusieurs reprises le ministre en charge des Affaires sociales, le socialiste Alain Berset, au cours de la campagne.

Craintes d’un afflux de migrants

Les milieux patronaux et libéraux ont également dénoncé «l’apologie de la déresponsabilisation et de l’assistanat» qui émanait à leurs yeux de cette initiative. Sur les affiches et les réseaux sociaux, ils n’ont pas hésité à exhiber un gros roi fainéant, vêtu d’un marcel blanc tâché, affalé devant des restes de pizza, des canettes de bières vides et un cendrier plein à craquer. Suggérant ainsi que le RBI allait surtout encourager l’oisiveté et la décadence.
S’appuyant sur un sondage réalisé au début de la campagne, les partisans de l’initiative ont rétorqué que seuls 2% des Suisses arrêteraient de travailler en cas d’introduction du revenu de base inconditionnel. Le RBI aurait à leurs yeux en outre permis de revaloriser financièrement les emplois pénibles ou ingrats, puisque les travailleurs auraient eu davantage de marge de manœuvre à l'heure de négocier leur contrat de travail.
Mais le coup de grâce à l’initiative a peut-être été donné par l’un des promoteurs même de ce texte. Dans une interview parue fin avril dans le Tages-Anzeiger, l’ancien porte-parole de la Confédération Oswald Sigg estimait que le RBI ne pourrait être mis en oeuvre sans concertation avec les pays voisins de la Suisse. «Je ne crois pas qu’il soit possible d’introduire le RBI en Suisse si on est le seul pays à le faire. Cela provoquerait très probablement une forte hausse de l’immigration. De tels changements profonds ne peuvent être introduits que dans un réseau de pays à l’échelle européenne», déclarait-il.
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